There's always somewhere to run - Flynn K. Griffith

Voir le jour à Oslo, en Norvège, sous les aurores boréales. Finir ses jours à Melbourne, en Australie, entouré d'une nature hostile. Tel était le dessein de Flynn, désormais. Enfin plus ou moins. Au fond, ça a toujours été un peu le bordel, dans sa caboche. Il pourrait y avoir un tas de facteurs à cette instabilité. Mais peut-être qu'il a juste encore un restant de bougeotte : quand il était gosse, ses parents et lui jonglaient souvent entre la Norvège et l'Angleterre, avant que ça ne dérape entre eux tous. L'enfance c'est un sujet qu'il refuse d'aborder; pas la peine de se rappeler de quelque chose d'aussi abject. Certes, il y avait bien les copains, mais ce touche positive fut bien trop négligeable. Il est même réticent à parler de sa jeunesse qu'il a gâché : marié bien trop tôt, à une femme qu'il aimait. Une union rompue par ses magouilles des années après. Sans parler de ce qui le suit encore aujourd'hui : deux gamines qu'il a laissé derrière lui. Une légitime, l'autre pas. Ça représente tout à fait le genre de situations dans lesquelles il a trempé, et trempe peut-être encore qui sait. Mais on ne choisit pas. C'est comme tout, c'est un peu aléatoire le destin. Si il n'avait pas commis certaines erreurs, il n'aurait rien appris. Cela dit, ça lui aurait peut-être épargné sa peine, croupir en taule. Le nombre exact d'années, Flynn est le seul à le connaître. Tout comme il est le seul à savoir pourquoi. Si à l'époque, ça pouvait bluffer ou épater, maintenant, c'est plutôt le type d'information qu'il essaie de faire taire. L'illégalité ne l'effraie pas, sinon il ne dealerait pas de temps à autre; il a fait bien pire. Mais c'est aussi une des sources du pourquoi il a tout perdu. Ses manigances ont eu raison de lui, mais qui sait, ça ne l'empêcherait sûrement pas de replonger. Si jamais il se faisait prendre une nouvelle fois, il lui suffirait de réitérer la même stratégie qu'en Norvège : disparaître ailleurs, se faire oublier.

Et pour ça, y avait-il un meilleur endroit que l'Australie ? Un pays chaud, où rares sont les créatures qui ne veulent pas vous nuire, aussi bien humaines qu'animales … Un climat sympathique en soi, et pas vraiment rebutant. Il lui a suffit de s'adapter à la vie là-bas : la chaleur, l'humidité, les gens … Mais avant tout, s'il voulait y rester, fallait surtout qu'il se rende utile. Alors avant d'en arriver au stade du salon de tatouage, il en a fait du boulot peu valorisant. Du moment qu'il gagnait sa croûte, de quoi se refaire un peu, ça lui était bien égal. Puis les années sont passées. Il s'est attachée à la petite ville où il a posé le pied pour la première fois y'a un moment. Melbourne c'est … Un autre chez lui. Ça commence à en faire, en comptant l'Angleterre et la Norvège, mais la culture de ce terrain en friche lui a plu. Puis c'est pas la seule chose; là-bas il y a aussi les quelques individus avec qui il a su tisser des liens plus ou moins amicaux, mais y'avait surtout cette gamine. Diana. Il aurait pu être son père mais ô combien il l'a aimé; elle l'avait presque fait redevenir quelqu'un de correct, durant leur relation. Presque. Pourtant c'est parti, encore. Il a tout foutu en l'air. Chassez le naturel, il revient au galop; il est pas allé en taule cette fois, cela dit. Il a quitté temporairement son petit coin de paradis. Il a tout ruiné, tout seul comme un grand. Pourquoi ? Des choses dangereuses. Toujours est-il qu'il a jeté la demoiselle, en lui balançant une variante plus amère de la formule classique du “t'étais rien pour moi, allez salut” pour qu'elle se détache, qu'elle l'efface et tire définitivement un trait sur lui. Parce que même lui il savait pas si il en reviendrait, alors il préférait qu'elle l'oublie. Il voulait la protéger d'une certaine manière : qu'elle passe immédiatement à autre chose, plutôt que de souffrir deux fois plus un tourment qui n'en valait pas la peine. Et surtout ne pas l'impliquer là-dedans. Puis il a disparu, sans laisser de trace. Sans dire pourquoi ni où il partait, demeurant injoignable.

Sa petite excursion en Norvège a duré environ quatre à cinq bons mois. C'était pas qu'une histoire d'affaires illégales; ça ne l'a pas été très longtemps, en fait. Il n'y a qu'en faisant des conneries qu'on apprend, pas vrai ? Bah voilà. Flynn en était retourné à son statut initial : seul. Son errance s'est poursuivie. Bouffé par la culpabilité d'avoir bousillé le lien si fort qui l'unissait à cette ravissante jeune femme blonde pour ça, se retrouver dans le même merdier qu'avant. Y'avait rien à envier à ce dans quoi il s'engageait là : il risquait sa peau. Pas mortellement, enfin probablement pas, mais l'enfermement pardonnerait pas, par contre. Quand on est irrécupérable, on l'est jusqu'au bout, et Flynn, lui, est rongé par bien des vices. Il a juste suffi que quelqu'un appuie sur la détente pour que le coup parte. Putain d'avarice. À vouloir rien perdre, il en avait perdu beaucoup des plumes pourtant. Pourquoi ? Pourquoi est-ce qu'il a tout lâché comme ça ? Coup de folie, certainement. On lui a fait miroiter des opportunités qui n'étaient rien de plus que des chimères dérisoires. Ou en tout cas, il n'a pas été assez stupide ou irraisonné pour accepter ce genre de choses à une échelle qu'il jugeait trop importante pour ce que ça lui rapportait. D'une certaine manière, s'il avait accepté, on l'aurait clairement envoyé au casse-pipe ... Sans qu'il y laisse sa peau à coup sûr, mais les chances d'y perdre étaient davantage présentes..
Comment est-ce qu'il aurait pu le savoir ? Certes, c'était des négociations, du business entre crapules malhonnêtes, mais il pensait pas pouvoir se faire enfler; c'était lui qui avait le meilleur rôle, d'habitude, celui-là justement ! Enfin, de toute façon, c'est pas pester qui lui rendra la mise qu'il a perdu. Et comme si ça suffisait pas, fallait qu'il rencontre de manière fortuite l'une de ses filles. Grand moment. Plus de malaise que de joie, cependant. Là où des retrouvailles se passent bien d'habitude, ça n'a pas tout à fait été le cas ici : il l'a bien cherché, d'une certaine manière. Ce n'était là que les conséquences de ses actes.
Puis après cette rencontre, il a continué à rôder, baignant dans une nostalgie empreinte de mélancolie. C'était pas la seule saloperie qui lui était arrivée sur place mais bon, il n'en était plus à ça près. Il ne savait même plus ce qu'il regrettait, en vérité. Trop de choses. Si il avait pu gommer certains événements, il l'aurait fait volontiers, ça lui aurait épargné bien des mésaventures … Bon pas au point de vouloir gommer sa naissance, parce que ça, il aurait pu le corriger lui même s'il l'avait voulu, à la limite.

Pour faire court, il est revenu à Melbourne il y a peu. Une bonne semaine tout au plus. Flynn rase de nouveaux les murs. Ses travers ont ressurgi. C'est pratiquement redevenu le sale type qu'il était dans en tant que jeune adulte. C'est assez triste comme constat, pour quelqu'un de sa trempe mais bon, il a suffi qu'un truc ne se passe pas comme prévu pour achever la démolition de ce qu'il avait obtenu. Bon. Au moins maintenant il lui reste l'argent, l'alcool, le tabac, et la drogue pour lui porter compagnie. Sinon y'a toujours le boulot. Ou le chat. Ou le chien, même. C'est une façon comme une autre de pas replonger totalement et finir toxico, parce qu'il aurait de quoi; il avait presque tout et le pire dans tout ça, c'est que c'est pas le sort qui lui a retiré sa cagnotte. Il l'a supprimé tout seul comme un grand, pour revenir au point de départ avec plus d'embarras qu'à la base. C'est tordu. C'est le serpent qui se mord la queue. On a beau dire que tout ce qui commence à une fin, chez Flynn, ça s'apparente plutôt à un éternel recommencement, jusqu'à maintenant. Retomber au point de départ. Pour que ça soit convenable, il faudrait déjà qu'il réussisse à se sortir de ses propres problèmes en train de terminer de l'enterrer vif. Sans compter ceux qui ne tarderaient pas à arriver … Putain de revers de la médaille. Se préparer à se mordre les doigts de ses choix restait la dernière chose à faire : après tout, il est le seul fautif et le seul responsable de ce qui lui arrive, pourquoi en vouloir à quelqu'un d'autre ?