Le couloir était long, trop pour que je me souvienne de combien de temps, il m'a fallu pour rejoindre les lieux et m'asseoir sur le banc qui m'était destiné. Je ne devais pas être là et pourtant, par je ne sais quel miracle, j'ai traîné mon cul jusqu'au tribunal, une dernière fois pour tenter de donner un sens à tout ça et espéré en finir.
TROIS ANS PLUS TOT
MAI 2012
« - Et dire que je vais ouvrir mon tout premier resto à NY ! » lança-t-il le sourire aux lèvres en franchissant le seuil de la porte. Avant la grande ouverture, il s'était toutefois octroyé quelques jours de répit à Dublin, dans cette imposante demeure où son épouse vivait seule la majorité du temps. Alan Murray était l'un des chefs les plus connus. Jouissant d'une fulgurante ascension, il ouvrait restaurants sur restaurants et passait ainsi le plus clair de son temps dans un jet. Une vie à mille à l'heure qui convenait cependant à sa femme, qui elle aussi était reconnue dans sa profession. Une réputation à la hauteur de celle de son époux. Maya était reporteur, du genre journalisme d'investigation. Elle n'avait peur de rien, ni de choquer les bonnes mœurs, ni de s'attaquer à de vrais problèmes « Je m'emporte pour ce qui m'importe » était son crédo ça et le « il n'y a pas de vérité sans risques » funeste présage !
« - Tu es avec moi ? » lança le chef à son épouse qui tapait à vive allure sur le clavier de son ordinateur. Dans ces moments, Alan savait qu'il ne pouvait pas faire grand-chose pour attirer l'attention de sa femme, investit corps et âme par son devoir. Une habitude, qu'il aurait préféré la voir perdre cependant. « Oui, je suis là ! Je crois que je tiens le bon bout » lança-t-elle en mâchonnant son crayon. Notre chef multi-étoilé ne se doutait pas alors, que sa chère et tendre était en croisade contre un système qui l'a dépassé. D'ailleurs en règle générale, Maya ne communiquait jamais sur les papiers en cours. Personne ne devait savoir, cela ne rendrait l'article que plus percutant. Et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'elle était douée pour cela. Le « pitbull » était l'un de ses surnoms et il est vrai qu'elle n'était pas du genre à lâcher l'affaire sans mordre quelques dernières au passage.
Les O'Murphy étaient une famille irlandaise, riche de surcroît. Une richesse aussi trouble qu'inexplicable. Des zones d'ombre qui ont attiré Maya comme un papillon est attiré par la lumière. En creusant encore et toujours, elle a d'abord découvert des trafics d'armes, puis de drogue. Et voilà qu'ensuite l'IRA se mêle à l'équation. Maya savait qu'elle prenait des risques en enquêtant sur cette famille. Mais « il n'y a pas de vérités sans risques » Alan n'a rien su des multiples menaces de mort, de l'agression dans un parking et d'autres formes d'intimidation employées par les mafieux. Il ne se doutait pas, que ce soir-là, en la voyant taper au propre son article, elle venait de signer son arrêt de mort.
26 JUIN 2012
NEW-YORK, UN PLATEAU TELE
« Nous sommes ravis de vous retrouver à New-York, sur Time Square avec le chef Murray » Tout sourire, la présentatrice que le monde enviait à l'Amérique, se tenait près d'un Alan aux anges, ravi de faire de la publicité pour son nouvel établissement. Il faut dire qu'avec les années et au vu de son caractère bien trempé, le chef était lui-même devenu un pur produit du divertissement. Auteur de quelques livres, il avait aussi participé en tant que jury, à une émission visant à trouver le meilleur des cuisiniers. Et il était forcé de reconnaître qu'il aimait ça, le feu de projecteurs, les regards braqués sur les lui, les applaudissements, les autographes. C'était un autre monde certes, mais il s'y sentait comme un poisson dans l'eau.
« On ne vous présente plus maintenant chef Murray ! »
« - Au pire, vous avez Wikipédia »
« Ce n'est pas faux ! Je peux aussi vous présenter. Vous allez voir que j'ai bien fait mon travail ! »
« - Je n'en doute pas ! » Fiche en main et prompteur en visu, la présentatrice se livra donc à l'exercice de la présentation de son invité avec l'expansivité propre aux Américains. « Né en 1977 à Glasgow en Écosse, vous avez commencé par vous intéresser par le foot. » Il acquiesça ravi toutefois de ne pas devoir évoquer son père, avec qui il n'avait plus aucun contact depuis plus de vingt-cinq ans
« - Oui j'aimais ça et je m'en sortais pas trop mal. Pour preuve, j'ai été repéré par les Shamrock Rovers à Dublin vers mes 12 ans. J'ai même atteint le centre de formation, mais une blessure au genou a mis un terme à une carrière professionnelle. »
« Vous vous êtes ensuite intéressé à la cuisine ! »
« - Bah il me fallait un boulot, j'ai donc opté pour le lycée professionnel et effectivement, j'ai découvert la cuisine ! »
« Il paraît qu'à l'âge de 17 ans vous vouliez vous engager dans L'Irish Republican Army?»
« - J'avais besoin d'ordre, ça me semblait être une bonne alternative, puis j'ai découvert la cuisine ! Ce n'est pas l'armée, mais ça s'en rapproche » Toujours le bon mot, la petite blague ou la remarque qui fait sourire et qui le rend aimable l'espace d'un instant, faisant ainsi oublier qu'il peut être un véritable connard derrière ses fourneaux.
« Ensuite, si je récapitule bien, à 19 ans vous atterrissez au Westin Dublin Hotel avant de retourner à Londres. Vous apprenez le métier avec le chef Marco Pierre White »
« - Une vraie tête de lard, mais il m'a permis de forger mon caractère. C'est important d'en avoir dans ce milieu. Puis je suis resté deux ans avec lui avant de partir étudier la cuisine française à Paris »
« Avec le chef Joel Robuchon ! Je n'écorche pas son nom ? »
« - C'est parfait ! Oui, effectivement, j'ai appris l'art de la cuisine française à ses côtés. C'était un honneur ! Et comme j'ai la bougeotte, trois plus tard, je quitte Paris pour retourner chez moi à Dublin »
« Et vous y ouvrez le Shamrock qui acquiert très rapidement une bonne notoriété. Et un an plus tard, le sacre. Ca fait quoi d'avoir aussi rapidement une étoile au guide Michelin ? »
« - C'est tellement dingue pour tout vous avouez ! Je m'étais préparé pour ça, mais je ne m'attendais pas à voir cet objectif se concrétiser aussi vite. »
« Puis la seconde étoile ! »
« - C'est une époque que je n'affectionne pas tant que ça paradoxalement. J'ai proposé à l'un de mes meilleurs amis de devenir mon associé. Certes, nous avons gagné une seconde étoile, mais ça ne l'a pas empêché de piquer dans la caisse. »
« Ah oui effectivement. Vous voulez lui adresser un mot ? »
En guise de réponse, Alan se contenta de regarder la caméra et de lui offrir un subtil doigt d'honneur provoquant l'étonnement de la présentatrice. Il était comme ça Alan, quelque peu bourru, n'hésitant pas parfois à faire preuve de vulgarité. Il n'était pas de ceux qu'il qualifiait lui-même de coincé du cul. Un trait de caractère sûrement grâce auquel on l'avait repéré pour faire un peu de télé. La suite de l'entrevue se poursuivit sur quelques compliments encore et toujours avant d'enfin inaugurer ce nouveau restaurant qui se trouvait près des grands théâtres de Broadway. Tout le monde était présent, le gratin du gratin, venu savourer les bons plats du chef Alan Murray qui ne manqua pas d'immortaliser l'instant pour venir agrémenter ses réseaux sociaux et la fierté de sa mère à qui il envoya quelques clichés. Il en fit de même avec Maya, n'omettant pas de lui faire savoir à quel point elle lui manquait et qu'il aurait voulu partager cet évènement avec elle. Il délaissa ensuite son portable pour mieux profiter de la soirée.
21 FEVRIER 2006
DUBLIN
La rencontre entre Alan et Maya n'était que le fruit d'un pur hasard, ou pour les plus imaginatifs, un enchaînement de petits incidents venus perturber leur morne quotidienneté. Ce jour-là, il pleuvait en Irlande, rien d'inhabituel en somme. La démarche incertaine et vêtus de son uniforme blanc de cuisinier, le chef Murray avançait lentement dans les rues pavées du petit quartier ouvrier de Dublin. La pluie continuait à tomber sur son visage impassible, plus il avançait et plus il sentait la houle et les vents fouetter conjointement son visage humide et froid. Un retour en terre presque natale qu'il ne pouvait savourer pleinement et pour cause, il avait un établissement à faire tourner. Le Shamrock, son tout premier restaurant détendeur de deux étoiles qu'il avait à cœur de bichonner pour pouvoir envoyer un signal fort autre que le bras d'honneur à son ancien associé toujours à la tête du Sherwood à Londres.
Le vent souffla à nouveau, emportant les dernières bribes d'une réflexion trop longtemps étayée, à savoir la confection du nouveau menu pour séduire une clientèle moins huppée et plus touristique. Pas encore inspiré, le chef haussa les épaules et continua à marcher le long des rues pavées de pierres froides. Et alors qu'il s'approchait de son établissement, une tornade brune vint le percuter chassant aussitôt son inspiration. En un regard, Alan avait compris que cette tornade sortit de nulle part, rendrait sa vie plus agréable qu'elle ne l'était déjà. Son cœur s'exalta avant de s'égarer dans sa poitrine douloureuse. Il n'était pas un adepte des grandes histoires, Maya déjoua ses aprioris un à un. En plus d'être belle, elle savait manier les mots comme personne. D'ailleurs, elle les aimait ces mots tout autant que la littérature et le plaisir de faire de belles phrases qu'elle se plaisait à offrir à ceux et celle qui daignaient les écouter. Mais plus encore, Maya était un journaliste, du genre engagée, prête à l'ouvrir là tout le monde préférait la fermer. Elle se sentait comme investit d'une mission. Si Alan se pourvoyait de la mission de transmettre le bon goût de la nourriture, elle œuvrait pour la transmission de la vérité et l'absence de langue de bois. Avec Maya, il parvint à trouver un équilibre qui laissait envisager une fin heureuse. Il s'était même permis d'entrevoir dans un avenir proche, de fonder cette famille dont il avait été privé. Ils avaient des projets qui prirent plus d'ampleurs lorsque quelques mois plus tard, Alan passa la bague au doigt de la jeune reporter.
JUIN 2013
DUBLIN, QUELQUES JOURS APRES LE PREMIER PROCES
La nuit tomba sur Dublin. Le genre de nuit intense qui prive le ciel d'étoiles et le charge de nuages. Un homme, un inspecteur de surcroît prit sur lui pour quitter le bureau plus tôt et monta dans son véhicule. Il devait se rendre à l'extérieur de la ville, dans un petit pub. Les premières gouttes de pluie trouvèrent refuge sur le pare-brise du conducteur qui pour assurer sa visibilité, due activer les essuie-glaces. Le trajet dura une bonne vingtaine de minutes avant que le néon bleu du pub, n'apparaisse aux yeux de l'inspecteur qui, pour vérifier qu'il était au bon endroit, avait pris soin de relire ses notes. Une fois rassuré, il sortit du véhicule puis pénétra à l'intérieur du pub presque désert au vu du premier coup d'œil. La main posée près de son holster, l'homme avança prudemment jusqu'au comptoir du barman qui lui indiqua où se trouvait l'homme qu'il était supposé rencontrer. Il était là, l'ancien chef adulé de tous, étanchant sa soif avec pour son compagne une bouteille de Whisky bien entamée. L'inspecteur avança ainsi vers la table et prit place.
« Me voilà Mr Murray ! » déclara-t-il au chef qui versa un peu de son liquide ambré dans le fond de son verre avant de se l'enfiler d'une traite.
« - Je ne suis pas encore aveugle inspecteur ! Alors que pouvez-vous me dire de plus ? »
« Au vu de la situation actuelle, nous devons vous proposer une alternative, j'entends par là une protection ! » Alan lâcha son verre et se précipita à la gorge de son interlocuteur. Sans ménagement, il le saisit par le col le forçant à respirer son haleine empourprée de volutes alcoolisées. « - C'est à ma femme que vous auriez dû proposer cette putain d'alternative au moment où elle en avait besoin » L'écossais pouvait sentir toute la peur qui émanait du pauvre homme qu'il tenait fermement. Sentant qu'il lui faisait mal, il le relâcha aussitôt.
« - Je suis désolé pour ce qui vous ai arrivé monsieur, Murray vraiment, mais je ne fais que mon travail. Vous savez qu'au vu de l'article rédigé par votre femme, vous êtes vous aussi en danger encore plus avec le procès à venir. » Alan se resservit en Whisky et ne prêta aucune attention aux paroles de l'homme qui lui faisait face. Une fois encore, il avala d'une traite le liquide ambré qui tapissait le fond de son verre.
« - Vous savez, il aurait été plus judicieux d'être présent au bureau pour régler cette affaire. »
« - Non, pas de lieux publics, il a trop de monde et je n'aime pas quand il y a trop de monde. »
« - Mais vous êtes protégé »
« - J'ai dit pas de lieux publics » Sans même sans rendre compte Alan avait élevé la voix et se retrouvait debout face au pauvre homme qui tentait de régler la situation. « Plusieurs membres de la famille O'Murphy vont être condamnés et… »
« - J'espère bien ! Il ne manquerait plus que l'un de ces fils de putes se promène encore en liberté. »
« Nous prenons en considération la participation active de votre femme dans l'arrestation de plusieurs chefs de file… »
« - Arrêtez avec vos blabla. J'ai l'impression que vous vous foutez de moi avec vos belles déclarations. C'est maintenant que vous me proposez une protection ? Après avoir attendu que ces fils de pute abattent ma femme dans sa voiture ? J'en ai rien à foutre de votre protection, d'ailleurs, je n'ai pas l'intention de me rendre à ce procès. » Le chef étoilé sortit une liasse de billets qu'il déposa sur la table, avant d'enfiler sa veste « Vous partez ? »
« - Je vais être clair, voir limpide pour que vous me fichiez la paix. Je vais disparaître sans votre programme de protection à la con. » Il sortit un paquet de cigarettes de la poche de son pantalon. De l'autre poche, il fit apparaître un briquet en argent qu'il plaça sous la cigarette qu'il alluma sans plus attendre. Il tira longuement sur le mégot faisant apparaître autour de lui un épais nuage de fumée.« - Je n'ai plus envie de me battre tout simplement ! » Sur ces mots, Alan s'éloigna. Il quitta les lieux et retrouva sa Harley-Davidson Panhead de 1964. Il laissa le moteur vrombir quelque secondes pour savourer cette douce mélodie qui parvenait à l'apaiser un peu, puis il accéléra et quitta les lieux sans un regard par-dessus l'épaule.
AOUT 2016
DUBLIN
« Le couloir était long, trop pour que je me souvienne de combien de temps, il m'a fallu pour rejoindre les lieux et m'asseoir sur le banc qui m'était destiné. Je ne devais pas être là et pourtant, par je ne sais quel miracle, j'ai traîné mon cul jusqu'au tribunal, une dernière fois pour tenter de donner un sens à tout ça et espéré en finir. »
Peu convaincu, l'agent d'Alan acheva sa lecture avant de reporter son attention sur l'ancien chef, qui pourvut de sa barbe de trois jours et de ses cheveux grisonnants sur les tempes, attendait l'avis du professionnel. « - Ca ne te plaît pas, c'est ça ? » L'agent se tue et chercha les bons mots pour ne pas froisser son futur ancien poulain. « Si, mais il y aura quelques petites choses à changer. Ton langage est trop familier ! »
« - On ne m'a pas demandé de faire un essai philosophique à ce que je sache. »
« On va te trouver quelqu'un pour écrire. Un journaliste, ça fera comme une interview ! »
« - Tu sais que je ne suis pas pour tout ça. Je veux dire, qui se soucie de moi et de ce que j'ai à dire ? »
« Alan tu a vécu quelque chose de difficile et d'horrible, mais tu as trouvé le courage d'aller au dernier procès et d'affronter les assassins de Maya. Les gens ont besoin d'une fin à cela, mais ils veulent aussi connaître ton histoire, ton ressentit ! »
« - C'est du voyeurisme ça ! »
« Non ! Tout le monde fait ça, je t'assure. Jamie Oliver, Gordon Ramsay… »
« - Oui, mais eux leurs femmes n'ont pas été assassinées. Écoute, je le fais parce que j'ai besoin d'argent, mais après, c'est fini. »
« Quoi ? Je ne comprends pas ! »
« - Il n'y a rien à comprendre. Après la parution de ce livre, je me tire, je quitte tout et je mets les voiles. »
« Et tu comptes aller où ? »
« - J'ai fait tourner la map monde et c'est tombé sur l'Australie. Je vais y ouvrir un pub. »
« Alan, tu peux le faire ici ça »
« - Non pas à Dublin. J'ai besoin de repartir à zéro, tu comprends ? »
« Et la cuisine ? »
« - Je n'ai pas envie d'en parler ! »
« Ca fait cinq ans Alan. Cinq ans sans pratiquer, c'est long »
« - Ce n'est plus ma priorité. La cuisine me prenait trop de temps, tellement que je n'ai pas pu en accorder à Maya et… »
« Non, je t'arrête tout de suite. J'en ai marre d'entendre encore et toujours ce même discours. »
« - Mais pourtant c'est vrai. Si j'avais été là plus souvent, j'aurais vu les menaces de mort, je l'aurais mieux protégé… »
« Je sais que c'est difficile Alan, mais arrête de te sentir aussi coupable et reprends ce pourquoi tu es fait. Tu es comme un magicien, tu es fait pour ça »
« - Bon aller on reprends le travail autour de ce bouquin? »
« Tu as une idée de titre au moins ? »
« - Une vie gâchée ! »
NOVEMBRE2016
FIN DE LA TOURNEE DE PROMO AUTOUR DU LIVRE "Une vie gâchée
1 AOUT 2016
OUVERTURE DE «THE KANGAROO WHISKEY » A FITZROY