Milah ⊰ Parfois, tu peux convaincre ta tête de ne pas écouter ton cœur. Ce sont souvent ces décisions que tu peux regretter pour le reste de ta vie [Leah Braemel]

Les profanes voient les apparences, les connaisseurs voient les astuces.
J'avais envie de faire aujourd'hui un édito sur cette phrase lourde de sens. Ma vie entière est basée sur cette phrase et, à mon sens, la vie de bien des femmes, sinon toutes, est basé sur une citation du genre. Être belle, mais ne pas éclipser son homme, être intelligente, mais pas trop, être drôle, mais pas comique professionnelle. Tout est une question d'apparence et de dosages.

Comme vous le savez sans doute, je suis née à Melbourne et y est vécu toute ma vie, mais mes parents, eux, sont nés en Corée. Difficile de savoir laquelle exactement, l'histoire familiale est un sujet un peu tabous à la maison, mais le fait est qu'ils sont arrivés en Australie peu de temps avant la naissance de mon frère et lui et moi avons tous les deux toujours plus connus le mode de vie australien, que celui notre pays d'origine. Pourtant, la tradition coréenne a fait partie intégrante de notre éducation. Nous avons appris les protocoles depuis que nous sommes en âge de comprendre les choses et sans doute même avant. Saluer de telle façon, parler de telle façon, ne pas ouvrir la bouche si un adulte, puis plus tard pour moi surtout mon père, ne nous y autorisait pas. Et comme si cela ne suffisait pas, mon père s'avère être l'ambassadeur de la Corée du Nord au consulat. Alors autant vous dire que la bienséance et les bonnes manières étaient quelque-chose à laquelle je ne pouvais pas couper.

J'ai grandi dans ce monde-là, ce monde des apparences, jouant les bonnes petites filles, assistant à toutes les grandes réceptions, côtoyant les hommes politiques et les célébrités au gré des soirées mondaines les plus importantes du pays. Et en grandissant, je suis passée d'enfant devant rester sage à celui de jeune femme devant agir dignement, sobrement et de manière à aider mon père dans ses affaires. Parler aux bonnes personnes, présenter les lieux, féliciter les victorieux, réconforter les perdants. Jouer des politiques et surtout jouer de ma personne. Un travail à temps plein, non gratifiant et non rémunéré. Je m'en suis vite lassé, mais je savais que je ne n'avais pas le choix.

Et puis soudainement, comme tombé du ciel, il est arrivé. Il était là par obligation, tout comme moi et il n'avait juste qu'une envie : disparaître et ne plus avoir à jouer la comédie. Exactement comme moi. On a commencé à discuter autour d'un verre, à s'échanger des anecdotes, à rire des jeux de faux semblants et puis à la deuxième... ou peut-être troisième soirée, on s'est éclipsé dans le jardin et on s'est embrassé. Castiel n'était pas mon premier baiser, ni ma première fois, quelques semaines plus tard, mais il était assurément le premier que j'embrassais juste par ennui et le premier avec qui je couchais juste parce que j'en avais envie et n'avait pas mieux à faire à ce moment-là. Ça n'était rien de prémédité et rien de vraiment réfléchi, juste l'envie du moment.

Notre relation s'est prolongé doucement, sans que jamais on en parle, sans que jamais on ne mette des mots dessus. On se retrouvait juste lors des soirées mondaines, on s'ennuyait ensemble, on disparaissait dès qu'on le pouvait et on faisait l'amour. Cela dura pendant trois ans. Trois ans d'une relation qui n'en était pas vraiment une, trois ans de quelque-chose de bizarre que nous n'avions jamais vraiment qualifié. J'eus quelques rencarts pendant ces trois ans. Avec des hommes choisis par mes parents, des garçons que je ne vis qu'une fois ou deux, sans jamais aller plus loin. C'est donc avec une certitude de cent pour cent que je pus dire que c'était de lui que j'étais enceinte, lorsque le test se révéla positif.

La fille de l'ambassadeur, célibataire et enceinte d'un australien. Le drame, l'horreur, la honte familiale. Pour préserver un peu les apparences et pour sauver la réputation de mon père, on contraignit Castiel à me demander en mariage. Un mariage rapide. Un mariage qui attira la déception de mon père qui aurait aimé que j'épouse un coréen, mais qui eut au moins le mérite de me sauver de l'existence d'un bébé hors mariage. Car oui, il est temps aujourd'hui que je révèle un grand secret. Nous avons toujours prétendu que notre fils Leo était né prématurément, qu'il était né deux mois avant terme, pour fixer la date de conception à notre nuit de noces ou les semaines suivantes. Mais la vérité est que notre fils est né à terme. Juste qu'il a été conçu avant notre mariage express. Bien évidemment, les mauvaises langues évoque de telles rumeurs depuis des années, mais le respect qu'ils se doivent d'avoir pour mon père et notre mariage parfait aux yeux de tous suffisent à nous protéger de leur insistance et à laisser penser à d'autres gens plus naïf que notre histoire est vraie.

Mais le mariage, mon mariage, n'est pas le plus idyllique qui soit. Aux yeux de tous, il l'est, bien sûr, mais j'ai toujours plus considéré Castiel comme un colocataire, un bon copain que comme un époux dont je suis amoureuse. Nous nous sommes mariés parce qu'il le fallait pour le bien de l'image de ma famille, parce que nous devions être exemplaires dans notre relation et notre parentalité, mais si en public les choses sont plus que parfaite, en privé, nous ne sommes rien de plus que deux personnes qui partagent une maison et une cohésion parentale... Enfin, certain vous dirons sans doute qu'il y a quand même plus car après trois ans de mariage, nous avons accueilli notre second enfant. Une merveilleuse petite fille, Leena, qui a aujourd'hui trois ans et notre fille est arrivée plus ou moins par surprise elle aussi. Je prenais la pilule au début de notre mariage, pendant la première année, puis j'ai arrêté, parce que mon père réclamait plus de petits enfants et que Castiel et moi n'étions pas contre le fait d'avoir un nouvel enfant. Pas vraiment un projet parental commun, encore une fois, mais une envie de chacun.

En fait notre vie se résume assez bien à ça. Ensemble sans vraiment l'être. A deux, mais pas un couple unis. A suivre nos désirs, tant qu'ils correspondent à un semblant de mariage. Dormir ensemble parce que c'est ce que les couples font, se faire des câlins parce que c'est bon d'avoir les bras de quelqu'un d'autre autour de soit et que ceux de son mari son acceptables, faire l'amour parce qu'on en a envie et que les relations avec son mari sont les seuls que l'on peut se permettre. Alors nous avions donc décidé de continuer notre vie, d'arrêter la pilule et de voir ce qu'il se passerait. Et il s'est passé Leena, pour notre plus grand bonheur. Parce que si nous ne pouvons qualifier notre mariage de réussite, nos enfants sont le point sur lequel on s'accorde toujours. Leur offrir le meilleur et être de bons parents pour eux est ce qui nous importe le plus. Alors on travaille ensemble pour ça, même si cela m'ennuie parfois d'être la parent sévère pendant qu'il est le papa gâteau. On ne peut pas changer un homme dans sa gagattitude...

Par certains côtés, j'aime cela cependant. Ce sourire qui éclaire son visage quand il joue avec Leo ou fait l'avion pour faire rire Leena sur son dos. Son rire franc, son regard tendre et aimant pour les enfants. J'aime aussi la manière dont il me regarde, parfois, particulièrement quand il pense que je ne le vois pas et que je ne porte rien d'autre qu'une de ses chemises alors que je fais mon café. J'aime la manière dont il m'est amical et - je le crois - fidèle, alors même qu'il n'aurait aucune raison de l'être. Alors même que d'autres dans sa condition en profiterais pour coucher à droite à gauche sans complexes. J'aime cette vie de famille toute simple et honnête, mais la passion me manque. L'amour véritable manque à ma vie. Cet amour magique dont rêve toutes les petites filles. J'aime le regard de désir que porte mon mari sur moi, mais je regrette de ne pas être son aimée. Et cela m'ennuie et me fatigue. Cette vie est paisible, mais trop pour moi.

J'ai vraiment cru que ce site web pourrait me permettre de supporter mon mariage sans amour. C'est pourquoi j'ai créé pretty.au et m'y suis plongé corps et âme il y a trois ans, travaillant sur sa conception quasiment tout le long de ma grossesse, mettant le site en ligne quelques jours seulement avant la naissance de Leena. Sa petite notoriété naissante fut une vraie surprise qui ne fit qu'embellir un peu plus ma vie, me faisant passer de « mère comblée et rien d'autre » à « mère comblée et web-reporter qui se réalise ». D'abord seule face à mon écran, j'ai commencé à écrire des articles sur tout et rien, sur mes passions et mes problèmes de femme et de maman. La mode, les lubies éducatives des mamans riches, les différents régimes tous plus inutiles les uns que les autres, le chocolat, les potins du moment. C'était selon l'envie et selon l'humeur, mais soudainement, les lecteurs de pretty se sont mis à en vouloir plus. Plus de pages modes, plus de bons plans, plus de critiques des tendances du moment... On me demandait des idées cuisines aussi, des choses que je ne connaissais pas, qui n'étaient pas de mon domaine de compétence. Alors j'ai engagé une co-rédactrice, puis une autre et une autre... Et depuis un an, nous sommes cinq à écrire quotidiennement des articles. Et si je supervise les résultats finaux avant chaque édition sur le site, je laisse mes rédactrices relativement libre, des sujets et du ton de leurs articles, tant qu'ils respectent ma ligne éditoriale. J'aime ce que je fais. J'aime ce métier qui me laisse libre de travailler à la maison, connecté avec mes employées via internet, toujours proches de mes enfants, toujours avec un œil sur eux. Je suis peut-être l'autorité dans la maison, mais mon travail me permet de passer tout mon temps avec eux, chaque minute qu'ils ne passent pas à l'école pour Leo ou chez leurs grands-parents...

C'est bien là tout ce qui me fait peur dans l'avenir. Être séparé de mes enfants est ma pire crainte. Car oui, je peux bien l'écrire dans cet édito que je ne publierais jamais de toute façon, je vais peut-être perdre la possibilité de passer chacun de mes jours en compagnie de mes enfants. Je vais sûrement la perdre. Parce que ce que je m'apprête à faire va nous contraindre à revisiter notre façon de fonctionner. Castiel m'a demandé en mariage sous la pression de nos parents. J'ai dit oui sous la pression des miens, pour l'image familiale, pour le devoir que j'avais pour ma famille, mais depuis cinq mois, je suis orpheline. Ma chère mère – paix à son âme – nous a quittés brusquement et mon père s'est laissé dépérir de chagrin quelques semaines plus tard. Lui qui n'avait jamais montré que froideur et protocole, me laissant croire qu'il avait épousé ma mère pour son amour commun des convenances, découvrit dans cette triste histoire qu'il l'avait toujours aimé d'un amour sincère. Pudique, certes, mais irrévocable. Un de ceux qui vous donne l'impression que votre propre cœur vous a été arraché le jour ou votre âme sœur disparaît. Ces deux pertes successives m'ont alors fait réfléchir au sens de la vie, de ma vie en particulier et à mon mariage de convenance dans lequel il n'y a aucun amour, même pudique. Alors j'ai pris ma décision, mûrement réfléchie la chose et analyser les possibilités.

J'ai récemment pris contact avec un avocat et compte demander le divorce. Parce que je veux plus qu'un homme qui vit en colocation avec moi par devoir. Parce que je veux plus qu'un homme qui m'accepte comme épouse. Je veux de ces passions qu'on voit à la télévision, qu'on lit dans les livres. Je veux voir l'amour dans les yeux de mon mari et le désir d'être en moi, autant que d'être dans ma vie. Mes enfants grandissent, mon fils surtout et je veux pouvoir toujours lui dire de suivre son cœur et ses envies en se contrefichant de ce que peuvent bien penser les autres. Mais comment le faire si je ne suis pas moi-même mon cœur et mes envies ?

Alors si les profanes voient les apparences et les connaisseurs voient les astuces, j'ai décidé de ne plus jouer et de ne plus chercher à faire la différence entre apparences et astuces. J'ai décidé d'être honnête et de cesser cette comédie et qu'importe si les gens de mon monde ne sont pas d'accord. Et vous ? Partant pour faire une chose honnête aujourd'hui ?