Je me penche et enlève mes escarpins avant de commencer à faire les cent pas devant le plan de travail, tapotant nerveusement mon crayons gris sur ma lèvre inférieure. Quelque chose ne va pas... Manque-t-il quelque chose ? Y a-t-il quelque chose en trop ? Je n’arrive pas à le déterminer. Je reprends place devant le croquis. Je l’observe minutieusement, en faisant des grimaces tout en portant à ma bouche mon crayon que je mordille sans vraiment m’en rendre compte. Puis je me stoppe et survol avec ce dernier le dessin en faisant mine de retoucher certains aspects du dessin mais je secoue la tête de désapprobation. Cela ne va pas ! Je recommence à jouer avec mon outil de travail en le secouant avec nervosité entre mon index et mon majeur, provoquant un bruit stressant, tout en observant mon environnement. Mon regard s’arrête sur le buste d’un mannequin sans vêtement. Je stoppe mon petit jeu en retenant l’objet entre le pouce et l’index de mon autre main, puis le lâche, le laissant glisser jusqu’à l’arrêtoir, un peu plus bas. Je tape du poing sur la table et m’apprête à froisser le papier de colère quand mon portable m’arrête dans mon élan en sonnant. Je décroche aussi vite, sans prendre le temps de regarder le nom de l’appelant, pensant qu’il s’agit de ma chef qui s’impatiente de savoir comment avance la nouvelle collection. “Helloooo Sista ! Comment ça va ?”. Hum… non, ça, ce n’est pas ma chef mais plutôt Jason, mon petit frère de vingt-quatre ans. “Hello p’tit frère ! Ca va bien et toi ? Que me vaut cet appel ?”. Généralement il ne m’appelle jamais juste pour me demander des nouvelles. Lorsqu’il en veut, il passe me voir au boulot m’apporter un café ou une douceur, ou s’invite à l’appartement à l’improviste avec un pack de bière. “Ca va, ça va. Bon j’ai une nouvelle qui va pas te réjouir… P’pa veut qu’on se fasse un repas tous ensemble ce soir. Il aurait apparement un truc à nous annoncer.”. Je soupire. Vraiment ? Qu’avait-il de si important à nous dire pour improviser un repas pour le soir même ? A moins qu’il nous prévienne à la dernière minute car il sait qu’autrement j’aurais trouvé n’importe quelle excuse pour ne pas venir. Il faut l’avouer, depuis le divorce de nos parents il y a dix ans, ma relation avec notre père n’a fait que se détériorer. Je ne lui ai jamais pardonné d’avoir trompé notre mère. Et lui, il n’a rien trouvé de mieux que d’essayer de m’acheter en nous offrant tout ce qui lui passait par la tête, avec tout l’argent qu’il avait gardé pour lui, laissant notre mère dans une certaine difficulté financière pour nous élever seule. Je me remets à faire les cents pas à travers mon atelier, fronçant les sourcils à l’idée de devoir passer une soirée avec mon paternel. “Allô Sista ! T’es toujours là ?”. Je secoue la tête, Jason ne me pardonnerait pas de l’abandonner pour ce repas, qui doit le réjouir tout autant que moi. Notre père n’arrêterait pas de lui rabâcher tout au long de la soirée que je ne fais aucun effort, que je n’aime pas ma famille, etc., etc… Il l’avait déjà fait, je sais donc de quoi je ne parle. “Ouii ouii, désolée. Mais tu sais à quel point je me fais une joie de devoir dîner avec papa ce soir !”, lui dis-je avec une ironie non dissimulée. “Je sais Sis’, moi aussi cela ne m’enchante pas… mais on a pas vraiment le choix. Pas vrai ?”. En effet, nous n’avions pas vraiment le choix si nous ne voulions entendre parler du faux bon qu’on lui a fait pendant des mois et mois… voir même des années ! Je fais un simple bruit d'acquiescement désapprobateur pour réponse. “A ce soir Sista ! Vingt heure… ne soit pas en retard ! Tu sais à quel point il n’aime pas qu’on soit en retard.”. Je ne le savais que trop bien. Reposant mon téléphone sur la table à côté du dessin que j’étais sur le point de réduire en boulette de papier à mettre à la poubelle, je lâche un long soupire en regardant l’heure sur ma montre. Déjà dix-huit heure. Si je ne voulais pas être en retard au repas, il fallait que je parte maintenant. Je jette un dernier coup d’oeil au croquis, espérant trouver ce qui ne va pas demain, puis attrape mon portable que je file glisser dans mon sac à main avant d’attraper mon trench et mes escarpins que j’enfile tout en marchant vers la sortie de mon bureau.
Il est dix-neuf heure vingt-cinq est me voilà devant la porte du domicile de mon paternel, prête à sonner. J’ai réuni ma crinière blonde en une queue de cheval pour l’occasion et est enfilée une robe moulante noire m’arrivant à mi-cuisse avec des escarpins et un perfecto rouge, pour me protéger des dernières fraîcheurs du printemps. J’hésite quelques secondes puis écrase mon index sur le bouton de la sonnette. J’entends le son retentir derrière la porte d’entrée et des pas se rapprochaient. “Hey Sista !!”. Jason ne me laisse pas le temps de réagir et m’attrape dans ses bras. Je lui rends brièvement son étreinte avant de m’en détacher et de poser un baiser sur son front. “Salut p’tit frère ! Alors c’est toi qui est obligé d’accueillir les invités maintenant ?”, lui demandai-je moqueuse en ébouriffant ses cheveux alors que nous marchons vers la salle à manger. Tout est déjà prêt de notre père nous attend debout derrière sa chaise. Je lui jette un regard sans sourire, avant que mon attention soit attirée par une présence féminine. Cette brune aux yeux bleus et au décolleté ravageur, perchée sur des talons d’une dizaine de centimètre ne me dit rien. Elle doit avoir la trentaine passée mais semble croire qu’elle en a encore une vingtaine à la vue de la robe beaucoup trop serrée qu’elle porte, laissant apparaître les quelques défaut de l’âge qui commencent à marquer ses cuisses. Mon frère pose sa main sur mon épaule avant de me murmurer à l’oreille quelques mots. “Désolée Sis’, je n’ai pas eu le temps de prévenir.”. Hum oui… je vois ça ! Que nous vaut l’honneur de sa présence ? Nous avait-il fait venir pour elle ? “Bonsoir Melodie.”. Je reporte aussi vite mon attention sur mon père qui s’approche de la femme que j’observais quelques secondes plutôt, glissant sa main tendrement le long de sa chute de rein. Oh mon d*eu ! Ne me dites pas que c’est sa nouvelle maîtresse. J’ai soudainement envie de vomir. “Je te présente Samantha… Samantha, je te présente ma fille aînée, Melodie.”. “Ravie de te rencontrer Melodie.” me lance Samantha avec un sourire non naturel. “Le plaisir est partagée Samantha” lui répondais-je avec un petit sourire faux, car aucun des mots que je viens de prononcer n’est vrai. Puis je me tourne vers mon père, le visage non enjoué. “Et je t’ai déjà dit de ne plus m’appeler Melodie. Plus personne ne m’appelle comme ça aujourd’hui. C’est Mellie...”. Plus personne ne m’appelle Melodie depuis des années maintenant, si ce n’est ma patronne et.. mon père, malgré que je lui répète à chaque fois que je le vois. Il ignore totalement ma remarque comme à son habitude et tire la chaise de trouvant face à Samantha pour l’inviter à passer à table. “Passons à table.” ajoute-t-il avant de tirer sa chaise et de prendre place à son tour. Le repas commence et les conversations vont bon train. Je me contente de répondre aux rares questions qu’on me pose mais ne fait aucun effort pour prendre part aux discussions. Je n’ai qu’une hâte, que ce repas se termine. Alors que le dessert arrive, notre géniteur se lève son verre de vin dans une main et une cuillière de l’autre et les fait s’entrechoquer comme lorsque l’on a une annonce à faire lors d’un grand dîner. Je lève les yeux au ciel, entendant mon petit-frère laisser échapper un petit rire. “Si nous ai réuni ce soir c’est pour vous annoncer une grande nouvelle. Samantha et moi allons nous marier !”. Quoi ?! Je manque de m’étouffer avec ma salive et me met donc à tousser alors que Jason applaudit la nouvelle. Dès que j’ai repris mon souffle, je me lève brusquement, jetant ma serviette sur la tête et pose un regard furieux sur mon père. “Non mais t’es sérieux là papa ! Cette femme à vingt ans de moins que toi ! Vous allez quoi… vivre cinq, dix ans de bonheur puis quand elle ne te conviendra plus, tu commenceras à la tromper comme tu l’as fait avec maman ! Et quand elle aura découvert le pot aux roses, tu divorceras, la laissant dans la merde comme tu as laissé notre mère et tu iras chercher une femme encore plus jeune. T’es vraiment pitoyable papa !!!”. Ne lui laissant pas le temps de réagir, j’envoie valser en arrière ma chaise et pars d’un pas rapide vers l’entrée récupérer ma veste et le petit sac à main que j’avais pris avec moi. “Melodie Reina Crawford ! Reviens immédiatement !!”. Au timbre de sa voix, je sais qu’il est furieux lui aussi. Il n’a pas du tout apprécié le scandale que je viens de lui faire devant ma nouvelle fiancée. Mais je n’en ai que faire ! J’entends des pas venir vers moi très rapidement. Je me retourne, en sachant pertinemment de qui il s’agit. “Désolée Jason, mais je ne peux pas rester une seconde plus ici.”. Il me lance un léger sourire compréhensif et me fait un bisous sur le joue avant de m’ouvrir la porte. “Je suis désolée.”.
Une fois dans ma voiture, je laisse tomber la colère qui m’anime. Je n’arrive pas à croire que mon père est osé nous réunir pour nous annoncer une chose pareille. C’est parfaitement ridicule. Qu’il ose me faire croire qu’il l’aime vraiment. Je suis prête à parier qu’il la voit juste comme une poupée à baiser et elle, elle se laisse faire, car pendant ce temps il l’entretient avec tout l’argent qu’il a à revendre ! C’est pitoyable !! J’attrape mon portable dans mon sac à main et envoie un message à Lena, ma meilleure amie depuis bien des années. “Blue bar dans 10 minutes, ça te dit ?”. Quelque se soit sa réponse, pour ma part j’y serais. J’ai besoin de me changer les idées.