Le coup de la panne

Le « Ô tartan » pouvait-on lire désormais sur la devanture de ce nouveau restaurant de Fitzroy. Pourtant, jadis, l'établissement arborait un tout autre intitulé. Certes, il était question d'alimentation, sauf que les étales et les boîtes de conserve arboraient à présent une toute autre apparence. L'épicerie de quartier n'était donc plus qu'un souvenir. Elle l'était déjà avant qu'Alanne se décide à racheter le bâtiment voisin de son bar le bien nommé « Kangaroo Whiskey » Oui, il avait cédé à ce qui lui semblait être ces vieux démons là où d'autres voyaient une résurrection. Le chef Murray était bel et bien de retour dans le monde de la cuisine, lui qui avait mis un terme à sa carrière sept ans plutôt après l'assassinat de son épouse, irlandaise de surcroît et reporter de terrain. La vie ayant joué quelques tours à Alan, il était désormais parvenu à panser son cœur meurtri après moult aventures sans lendemain.  Ancré à bon port, il s'autorisait enfin à reprendre sa vie en main et à faire ce pourquoi, il était doué, à savoir la cuisine. Les connaisseurs en émoi, avaient dépêché leurs journalistes jusqu'en Australie pour que le chef daigne leur accordé une interview. Même les fans de l'émission dans laquelle l'Ecossais venait en aide à des restaurateurs en détresse en leur flanquant quelques coups de pied au derrière, avaient fait le déplacement pour le voir et pour assister à l'ouverture de ce nouveau restaurant. Que l'on se le dise, c'était un évènement pour les connaisseurs qui n'avaient plus de nouvelles depuis 2016 après la parution « d'une vie gâchée » l'autobiographie du chef. Une idée soufflée par un agent au bout du rouleau et avide d'un peu de reconnaissance. Par la suite, après avoir assuré une tournée d'adieu, Alan s'était tiré et avait fini par rejoindre Melbourne pour y ouvrir son bar en août 2016 dans le plus grand anonymat.

Le marathon journalistique fut rude pour lui qui avait perdu l'habitude, mais il s'y était plié pour pouvoir se faire un peu de pub. À présent, qu'il aspirait à un peu plus de liberté, il s'en alla rejoindre son fidèle destrier pour s'accorder une petite balade. Mais qu'elle ne fut pas sa surprise en découvrant une flaque d'huile à terre. Il tenta ensuite de démarrer la moto en vain. « - Non ! Mais qu'est-ce que tu me fais ? » Il réitéra l'expérience certain que la seconde fois serait la bonne « - Merde ! » La frustration était perceptible dans la voix d'Alan qui juchait sur son fidèle destrier tentait une fois encore de le faire démarrer vainement. Ce n'était pourtant pas la première fois qu'il peinait à lancer son Harley Davidson Panhead de 1964. Sauf que cette fois, il y avait cette satanée flaque d'huile. Le cœur lourd, il délesta le guidon. Que pouvait-il bien se passer ? Il récupéra sans attendre son portable et checka les adresses à proximité pour trouver la personne adéquate pour jeter un œil à ce cadeau offert des années auparavant par Maya qui connaissait la passion de son homme pour les motos. Et c'est là que le parcours du combattant commence. Les mécanos ce n'était pas ce qui manquait dans le coin. Et pourtant personne ne parvint à trouver le problème, certains n'avaient même pas pris la peine de checker la moto. Désemparé Al lança un appel à l'aide sur les réseaux sociaux, avant de reprendre la route, la moto fixait à son 4x4.

Pando

Le parcours du combattant avait commencé et ce depuis des heures et des heures. Cela n'était rien de plus qu'une moto et pourtant Alan agissait comme s'il eut s'agit d'un proche atteint d'un mal indéfinissable. Il avait donc débuté une quête sans fin pour trouver la personne la plus adéquate pour jouer les docteurs mécaniques. Cela n'était pas qu'une simple moto et s'il fallait faire le tour de tout Melbourne, le chef s'y lancerait sans une once d'hésitation. Ca valait le coup de se donner du mal et à hypothétiquement accumuler les kilomètres pour le faire. Malheureusement pour Alan, se sont les « non » qu'il commençait à collectionner dans sa recherche du mécano idéal pour prendre en charge tout ce qui lui restait de Maya. C'est donc bredouille, que l'Écossais regagna son établissement tout en s'empressant d'aller vérifier sa boîte mail chargé de pub, de facture et de candidatures spontanées pour son nouvel établissement ouvert à côté du pub. « - Fais chié ! » laissa-t-il entendre en se rendant compte que personne n'eut été en mesure de répondre à son appel à l'aide. Par excès de colère et parce qu'il désespérait de trouver quelqu'un rapidement, il se décida à s'inscrire sur plusieurs sites spécialisés et posta encore et encore la même annonce. Avec un peu de chance, peut-être en inondant l'internet de ces messages, il parviendrait à attirer l'attention de quelqu'un. Puis enfin, il se décida à ne plus y repenser pour le moment et retourna vaquer à ses occupations.

Le bip fut salvateur, autant que peut l'être celui qui vous annonce l'arrivée d'un nouveau message. Il peut aussi s'avérer décevant lorsqu'il n'est question que d'une publicité ou pire un courrier indésirable. Mais pour le coup, Alan ne se posa aucune question et sortit aussitôt son portable de sa poche pour s'enquérir du message qu'il venait de se recevoir. « - OUI ! » Laissa-t-il entendre en levant le poing attirant au passage les regards de ses cuisiniers qui élaboraient à ses côtés la carte du jour. « - C'est rien les gars ! Continuez ! » Il quitta aussitôt sa cuisine et armé de son clavier en correction automatique, il commença à répondre à ce qui lui semblât être une interlocutrice. Sur le coup, il ne se posa aucune question et puis cette personne était la seule à lui avoir répondu alors autant tenter sa chance

« Bonjour ! J'ai lu votre réponse et je vous remercie, je crois bien que vous venez de mettre un terme à une quête de l'impossible. Est-ce toutefois possible de se rencontrer ? Je suis le propriétaire du Kangaroo Whiskey sur Fitroy. Aujourd'hui ça vous va ?
Cordialement
Alan Murray»

Pando

La quête de l'impossible ! Ça sonnait plutôt pas mal pour résumer la situation au vu des nombreux échecs qu'Alan avait essuyé dans sa recherche du « parfait » mécano. Bien que la perfection ne soit pas de ce monde, ils furent nombreux à refuser de prendre en charge la moto. Soit, ils n'avaient pas le temps (un argument qui revenait souvent, malgré des ateliers vides) soit, ils déclinaient la responsabilité d'un tel « projet » et s'offusquaient pour la plupart de ne pas voir une telle pièce dans un musée. Tout ça pour en arriver à un « non » et le désespoir de ne plus voir sa moto foulait l'asphalte australien. Par chance et grâce à la persévérance de l'Européen, son « sos » en pleine mer informatique trouva écho auprès d'une bonne âme qui avait accepté la quête de l'impossible. A peine eut-il répondu aux commentaires du mystérieux mécano, qui se trouvait être mystérieuse et non le contraire, un autre message fut envoyé dans la foulée. « - Wow, bah dis donc ça ne traîne pas ! » laissa-t-il entendre à voix haute. Il était convenu que la personne vienne aux alentours de dix heures et notre chef étoile se tenait prêt à accueillir. Il retourna de ce fait auprès de sa moto pour qu'elle soit présentable avant de répondre par un « ok ça marche pour dix heures » au message de la mécano qui avait ajouté et son nom et son prénom. L'espace d'un instant, Alan fut tenté d'aller faire des petites recherches via internet et les réseaux sociaux, mais reconnaissant que la personne ait pris le temps de lui écrire, il cessa de jouer les inspecteurs la bavure, mais entreprit toutefois d'envoyer à nouveau un message à la demoiselle pour lui décrire le bolide.

« Pour ce qui est de la moto, c'est donc une Harley Davidson Panhead de 1964. On me l'a offert, il y a plus de dix ans. Je n'ai jamais eu de soucis jusqu'à présent. Enfin si peut-être un peu, la demoiselle est un peu capricieuse sur le démarrage. Hormis ça jusqu'à présent, tout allait bien. Là, elle ne veut plus démarrer et je crois qu'il est question de fuite d'huile. Je suis tombé sur une petite marre. Je suis inquiet de vous à moi » Une fois le message expédié, Alan retourna sur ses pas pour retrouver la cuisine de son restaurant et continuait sa préparation avant l'arrivée de celle qu'il considérait déjà comme une sauveuse.

Pando

C'est dingue, c'est quand on perd quelque chose auquel on tient, ou qu'on croit son hypothétique dernière heure arriver, que l'on se rend compte à quel point, cette possession aussi matérielle soit-elle, a de l'importance. Une importance d'autant plus considérable lorsqu'il s'agit d'un cadeau offert par une personne qui n'est désormais plus de ce monde. Alan n'était pas du genre à s'enticher d'un objet d'ordinaire, mais cette moto en plus d'être une pièce de collection, revêtait une importance toute particulière aux yeux du cuisiner, une importance qu'il avait sûrement minimalisé jusqu'à présent. Il était tenté d'envoyer un message à Eva', mais se retrouva bien con lorsqu'il commença à réfléchir à ce qu'il allait taper sur son clavier. Il poussa un énième soupire en retournant vers la cuisine pour achever ce qu'il était en train de faire. Aidé par ses deux commis, ils parvinrent très rapidement à achever la préparation « - Occupez-vous des desserts maintenant. Ca nous fera ça en moins. Ne traînez pas à mettre la mousse au chocolat au frais dès que c'est terminé » Il retourna ensuite vers la salle et se dirigea vers le bar où se trouvait la caisse électrique. Il s'assura qu'il reste encore assez de monnaie pour un prochain service avant de lever la tête vers la porte par laquelle une nouvelle arrivante venait de pénétrer. De toute évidence, elle cherchait Alan Murray. Notre chef compris aussitôt à qui il avait affaire et s'avança vers la mécano, surprit par le look « - C'est moi, je suis le type désespéré qui inonde les réseaux d'appels à l'aide » Il tendit une main bienveillante « - Vous voulez voir la bête ? »

Pando

Son rire. Il aurait pu l'entendre durant des heures et de ce fait dire autant de bêtises qu'il fallait pour l'entretenir ce petit rire cristallin. Par le biais de cette moto, les souvenirs refaisaient surface dans la mémoire d'Alan, bien loin de ses préoccupations actuelles. Le restaurant n'était encore qu'à ses balbutiements comparés au bar à côté, qui avait un peu plus de bouteille et pouvait de ce fait, susciter moins d'attention. Le restaurant était dans un cas de figure tout autre, cependant, au vu de l'importance de la bécane et de ce qu'elle signifiait pour Alan, il avait choisi juste pour aujourd'hui, de se dérober à la tâche qui était la sienne. Il quitta donc le comptoir pour rejoindre la nouvelle arrivante, qu'il se surprit à trouver trop jolie pour être mécano, avant de se reprendre, au risque de passer pour le misogyne qu'il n'était plus. « - C'est une angoisse de femme enceinte, j'ai l'impression »... Enfin presque. Il essayait de faire de l'humour malgré tout, mais n'en demeurait pas moins légèrement anxieux en conduisant la jeune femme dans ce qui faisait office de garage tout en prenant le temps de répondre à chacune de ses questions avec précisions. « - Ouais affirmatif ! Dix ans d'amour sans changement. Je l'ai tel quel depuis qu'on me l'a offert. Après, c'est probable que le type qui a revendu la moto à ma femme, est bidouillé dessus en amont. » Ils se retrouvèrent donc face à la belle mécanique et le sourire qui paraissait sur le visage de la jeune mécano, rassura le chef étoilé. Il était face à une connaisseuse doublée d'une personne admirative, elle ne pouvait qu'être compétente et traiter la moto avec la plus grande des considérations. Elle commença d'ailleurs à faire le tour, silencieuse, car dans l'observation. « - J'en prends soin au possible » ne put-il s'empêcher de commenter « - Et ouais effectivement j'ai trouvé une flaque d'huile l'autre fois. C'est grave, vous croyez ? »

Pando