Les parents de Sasha n’ont jamais roulé sur l’or, ils étaient le genre de couple à calculer les économies et à éviter de dépenser dans le trop superflu. Pour autant, Sasha ne s’est jamais sentie « pauvre », ses parents n’étaient pas dans le rouge et le frigo était toujours rempli. Bien qu’ils surveillent leur budget, Sasha a toujours eu ce dont elle avait besoin. Enfant, ses parents jouaient avec elle, elle se sentait aimée au sein de la famille. Son enfance a tout simplement été heureuse, ses parents l’ont élevée pour qu’elle devienne quelqu’un de bien. « J’veux une petite sœur !! » Cette réclamation, elle l’avait faite jusqu’à ses onze ans à presque chaque anniversaire et chaque Noël. A l’époque, elle ne remarquait pas la mine triste sur le visage de ses parents, elle ne voyait que leurs sourires qu’elle ignorait être forcés et se satisfaisait de « Tu sais ma chérie, les enfants ne s’achètent pas dans les magasins ». A l’école, elle faisait partie des meilleurs et elle en était très fière, plus encore quand ses parents la félicitaient. Chaque fois qu’elle avait la meilleure note de la classe, sa mère achetait un gros paquet de guimauve et la famille faisait griller des marshmallows sur un réchaud de camping devant la télé. En grandissant, Sasha a constaté que ses camarades râlaient de plus en plus contre l’école mais Sasha continuait d’aimer ça. Bien sûr, avec les années, la difficulté augmentait et elle devait parfois s’accrocher un peu plus mais elle continuait à aimer aller en cours. Arrivée au lycée, elle n’avait pas suivi le mouvement de tous les lycéens qui séchaient les cours et sortaient en boîte le soir, ça ne l’avait jamais vraiment attiré. Préférant un bon livre à une grosse soirée où la moitié des gens finissaient par oublier leur prénom, elle restait persuadée qu’elle faisait le bon choix. Après tout, réussir ses études, c’était réussir dans la vie, non ?
A la fin du lycée, Sasha sauta de joie en voyant son nom sur la liste des admis, elle avait son diplôme et le monde lui ouvrait grand les bras ! Oui… mais elle ne savait pas exactement ce qu’elle souhaitait faire de sa vie. Elle avait changé tellement de fois d’avis : maîtresse, vétérinaire, écrivain, comédienne, infirmière, styliste, … Quoi qu’elle choisisse, ses parents allaient la soutenir. Sans savoir exactement qu’elle métier elle voulait faire, Sasha se lança dans des études de littérature mais les frais étaient élevés, même avec une bourse. Alors pour ne pas saigner ses parents, Sasha se trouva un petit boulot pour payer une partie de ses études. Après avoir déposé plusieurs CVs dans des cafés, des restaurants, des boutiques diverses, elle fut rappelée par le gérant d’un café qui lui offrit d’abord une période d’essai à la fin de laquelle elle fut embauchée, elle travaillait les week-ends et à la fin des cours. Certains soirs, elle dépannait également des couples de son quartier en faisant du baby-sitting, le moindre dollar qu’elle pouvait mettre de côté était bon à prendre. Deux ans plus tard, l’envie d’indépendance se faisait de plus en plus ressentir pour Sasha. Rester à la maison, c’était chouette, manger les bons petits plats de maman, savourer les barbecues bien assaisonnés de papa, passer une heure à choisir quel film ils allaient regarder le soir… tout ceci était très agréable, il fallait bien le reconnaître, mais Sasha avait vingt ans et elle avait besoin de se sentir un peu plus adulte. Par le plus grand des hasards, elle tomba sur un petit appartement loué pour une bouchée de pain par une vieille dame très gentille. Sans plus prendre le temps de réfléchir, Sasha sauta sur l’occasion avant que celle-ci ne lui passe sous le nez. Quelques jours après avoir signé le bail, Sasha s’installa avec l’aide de ses parents un peu inquiets de voir leur fifille quitter le nid.
L’année suivante, la gentille vieille dame propriétaire de son appartement est décédée. Sasha eut un pincement au cœur. Bien qu’elle n’ait pas souvent parlé à sa propriétaire, les quelques échanges qu’elle avait eus avec elle avaient été un vrai plaisir. L’appartement fut légué à son fils et Sasha s’attendait simplement à devoir signer un peu de paperasse à cause du changement de propriétaire mais elle tomba de bien haut. Légalement, il n’avait pas le droit de la mettre dehors, en revanche rien ne l’empêchait d’augmenter brutalement le loyer de l’appartement. Quand cette nouvelle lui parvint, elle faillit tourner de l’œil. Financièrement, il lui était impossible de suivre. Entre son salaire et le prix de ses études… elle devait faire un choix. Or, la jeune femme ne se voyait pas retourner vivre chez ses parents… alors à contrecœur, elle lâcha ses études et se mit à travailler à temps plein pour économiser un maximum d’argent. Tout ça pour un petit merdeux d’une quarantaine d’années qui croyait qu’il valait mieux qu’elle. C’était vraiment rageant mais quel autre choix avait-elle ? Retourner chez ses parents et devenir un poids pour eux ? Vivre dans la rue ? Squatter chez des amis ? Aucune de ces solutions ne lui convenaient. Sans compter que peu de temps après ça, Sasha reçu un coup de téléphone de sa mère lui apprenant que son oncle était gravement malade… dans quelques jours, ses parents allaient partir aux Etats-Unis pour le rejoindre. Mais Sasha, elle, … elle avait son travail, elle avait sa vie sociale… elle était tiraillée entre l’affect et la nécessité. Si elle filait aux Etats-Unis, elle devait quitter son travail. Si elle quittait son travail, elle ne pouvait plus payer son loyer. Si elle ne payait plus son loyer, elle devait rentrer chez ses parents… qui partaient aux Etats-Unis. Non, ce n’était pas envisageable pour elle.
Un jour de retard. Sasha n’avait déposé son chèque de loyer qu’avec une petite journée de retard et ça avait suffit pour que son proprio lui prenne la tête. De toute façon, toutes les raisons étaient bonnes avec lui qui n’attendait qu’une chose : que Sasha foute le camp pour qu’ils puissent vendre cet appartement et ne plus avoir à gérer ça. Mais pour le coup, Sasha en avait vraiment marre. Cet appartement, elle l’aimait beaucoup mais le propriétaire était invivable, elle devait déménager. Mais les loyers à Melbourne n’étaient pas donnés et il y avait sans cesse du monde à visiter les appartements les plus intéressants. Finalement, la solution à ses problèmes était juste sous son nez. Le patron du café où elle travaillait possédait plusieurs logements juste au-dessus de l’établissement. Elle a donc pris son courage à deux mains pour en parler avec lui et quelques semaines plus tard, elle quittait son appartement et son insupportable propriétaire pour s’installer au-dessus du café. C’était tout benef' pour elle. Non seulement, elle avait la paix avec son proprio mais en plus, elle économisait les frais d’essence pour se rendre sur son lieu de travail !
« Mais allez viens, tu vas voir, on va bien s’éclater, c’est promis ! » non sans une grande réticence, Sasha s'était laissée convaincre et avait suivi ses amies en boîte. Elles y tenaient vraiment et même si ce n’était pas du tout ce que Sasha aimait, elle s’était dit qu’elles pourraient quand même passer une bonne soirée. Mais en à peine deux heures, l’une avait déjà trop bu pour se rappeler de son nom, l’autre essayait de convaincre tous les mecs au comptoir de leur offrir des consommations et la dernière poussait Sasha à aller draguer. Autant dire que pour la « bonne soirée » c’était un peu loupé. « Mais lâche-toi un peu Sasha ! Regarde le mec là-bas il arrête pas de te reluquer, va lui parler ! » Sasha leva la tête dans la direction du type qui lui offrit un sourire mais elle détourna la tête pour se tourner vers son amie « Ecoute, j’me sens pas très bien, je préfère rentrer les filles, je suis désolée » Elles avaient toutes protesté mais Sasha était sortie de la boîte. L’air frais lui fit du bien, en plus de ne pas apprécier l’ambiance, il faisait une de ces chaleurs là-dedans ! Toute seule dehors, il ne lui restait plus qu’à reprendre la direction de chez elle à pieds. Depuis quelques mètres déjà, elle se sentait suivie, mais elle secoua la tête. « T’es parano ma pauvre Sasha ». Pour autant, elle ne put s’empêcher d’accélérer le pas et quand elle fut obligée de passer par la rue qu’elle n’aimait pas emprunter, elle sentie une main se poser sur son épaule. En une fraction de seconde elle était plaquée contre le mur. Une main agrippait son sac et les mains de Sasha étaient figées autour, elle n’avait pas la moindre idée de comment elle faisait pour ne pas lâcher la bride. Elle poussa un hurlement strident alors qu’elle sentait une main se glisser sous son haut. A cet instant, elle était tétanisée, elle n’avait même plus la force de crier à nouveau, ni même la force de se débattre. Au moment où elle pensait que c’était fichu pour elle, un homme surgit pour la défendre et faire fuir les deux agresseurs. Le cœur battant la chamade, ses jambes se dérobèrent sous elle et elle finit sur les genoux. Cet homme, cet Ezekiel… il l’avait sauvée. C’était la première fois que quelqu’un la défendait, faisait quelque chose pour elle sans rien demander en retour. Dès lors, il est devenu un héros dans l’esprit de Sasha. Pendant plusieurs mois, elle ne sortit presque pas. Elle descendait de son appartement pour travailler au café, et dès la fin de son service, elle remontait d'office chez elle. Même ses courses, elle les faisait en ligne et se les faisait livrer sur place. Puis petit à petit, elle se força à sortir - il faut dire qu'elle n'avait pas toujours le choix - mais uniquement en journée. Depuis son agression, elle était un peu farouche avec les gens qu'elle croisait, elle sursautait dès que quelqu'un la touchait accidentellement dans la rue ou dans un magasin. Mais il y avait Ezekiel... le seul avec qui elle se sentait en sécurité. Le hasard a voulu qu’ils se recroisent plusieurs fois et chaque fois il lui rendait service, l’aidant à porter ses courses quand elle s'était remise à les faire dans les magasins. Une fois même, elle était tombée en panne sur le bord de la route, et il était là comme un ange gardien, il avait branché sa batterie sur celle de Sasha et elle avait pu aller jusqu’au premier garage.
Sasha décrocha son téléphone « Tu vas bien ??? » Sasha haussa un sourcil « Euh ben... oui pourquoi ? » son ami avait l’air inquiet au téléphone « Ça fait trois fois que j’essaie de t’appeler ! » « J’étais à la plage, qu’est-ce qui se passe ? » un silence suivi sa question. Un silence qui l’inquiéta encore plus. « Le café… il a brûlé » sous le choc, Sasha s’écroula sur sa serviette. Rapidement, elle se rhabilla par dessus son maillot de bain mouillé, attrapa la laisse de son chien et se dépêcha de retourner jusqu’au café. Les pompiers étaient encore présents mais tout était en cendre… le café, les logements au-dessus… son logement. Sasha avait voulu profiter de ses quelques jours de congé pour s’offrir une petite après-midi tranquille depuis bien longtemps… et en revenant, elle avait tout perdu. Son travail, son appartement, toutes ses affaires… ses vêtements, ses livres, absolument tout. Les seules choses qu’elle avait sauvées étaient ses papiers, son chéquier et les quelques autres babioles qui traînaient dans son sac à main. En une fraction de seconde, Sasha se retrouvait sans emploi, sans toit au-dessus de la tête… Ses parents étaient toujours aux Etats-Unis, elle ne pouvait même pas se réfugier chez eux., elle était à la rue. Pendant deux jours, elle resta à trainer sur la plage, dans les parcs, dormant là où elle pouvait, serrant son sac à main contre elle, la seule chose qui lui restait. Sasha ne savait vraiment plus quoi faire… Elle croisa une nouvelle fois Ezekiel, son sauveur, son ange. Elle qui n’était pas du genre à se plaindre, elle craqua, fondant en larmes elle lui raconta comment elle avait tout perdu le temps d’une baignade. Il lui proposa alors de l’héberger, chez lui et sa jumelle. L’espace d’un instant, elle songea à refuser, ne voulant pas être un poids pour lui mais au moment de dire « Non » ce fut un « Oui » qui franchit ses lèvres. Elle emménagea alors chez les jumeaux Morgan. Un canapé-lit lui convenait parfaitement, et il avait eu la gentillesse de ne pas râler de devoir héberger le chien avec. Si tout se passait bien avec Ezekiel, avec Ariel, l’affinité n’était pas la même. Sasha sentait bien que quelque chose clochait malgré les sourires sans réussir à mettre le doigt dessus.
La vie de Sasha reprenait presque un cours normal. Enfin… tout était relatif. Elle vivait normalement dans la journée, mais à la tombée de la nuit, elle n'osait pas sortie seule, comme si son agression revenait de force dans sa mémoire dès que le soleil se couchait. Personne ne semblait vouloir l’embaucher et elle se retrouvait sans boulot depuis presque un an maintenant, elle vivait toujours au crochet d’Ezekiel, mais elle faisait tout son possible pour se rendre utile. Cet après-midi, elle faisait les courses, elle fit un tour au rayon alcool pour leur acheter une bouteille de vin. Une bouteille qui manqua de peu de s’éclater au sol quand elle croisa son sosie. Sans rire, son sosie. Outre la tenue, Sasha cru se regarder dans un miroir. Cette femme en face d’elle… au bout de quelques minutes de discussion, Sasha comprit. Mais une part d’elle refusait de croire ça, elle attendait toujours une caméra cachée, un effet d’optique, de la prestidigitation pour justifier cette ressemblance. Avoir une jumelle dont elle ignorait l’existence, c’était improbable, non ? Et cette histoire d’enfant kidnappé, ça n’arrivait que dans les films enfin ! Sasha devait pourtant bien se rendre à l’évidence, tout concordait… Elle se rappela soudain l’expression de ses parents chaque fois qu’elle avait réclamé une sœur. Ça avait dû être terrible pour eux… Jess, c’était comme ça qu’elle s’appelait. Elles étaient tellement différentes… presque opposées ! Bizarrement, jusque-là, personne n’avait pris Sasha pour Jess et depuis qu’elle l’avait rencontrée, ça arrivait de plus en plus souvent. Prenant son courage à deux mains, Sasha fut celle qui dût apprendre à ses parents que l’enfant qu’ils croyaient morte depuis vingt-six ans était en vie et vivait à Melbourne, la ville qui l’avait vue naître. Leur émotion était palpable, les larmes coulaient sur le visage de sa mère de l’autre côté de l’écran sur skype. Sasha avait essayé de se montrer forte mais devant sa mère en pleurs, elle n’avait pas su retenir ses larmes non plus. Ses parents lui manquaient, elle aurait voulu les prendre dans ses bras à cet instant plutôt que d’être à presque dix-sept-mille kilomètres de là.
La mère de Sasha avait voulu revenir illico à Melbourne mais ils avaient encore des papiers à régler. Quelques jours plus tôt, l'oncle de Sasha pour qui ils étaient partis aux Etats-Unis avait rendu son denier souffle à l'hôpital. Ils avaient maintenant de la paperasse à régler concernant les obsèques, les successions et tout ce bazar pas vraiment joyeux. Sasha était triste mais elle l'était surtout pour sa mère qui venait de perdre son frère. Son oncle, Sasha ne le connaissait pas vraiment. Elle avait du le voir à un ou deux Noël lorsqu'elle était petite mais elle n'avait pas grand souvenir de lui. Une fois que tout fut réglé, les parents Robbins revinrent enfin à Melbourne pour retrouver leur fille. Leurs filles plus exactement. Sasha les avait attendu à l'aéroport et ils s'étaient serrés dans les bras plus fort que jamais. Cela faisait six ans qu'ils ne s'étaient pas vus, six ans... c'était particulièrement long. Sasha avait rarement vu sa mère aussi bouleversée. Entre le décès de son frère et l'existence de sa deuxième fille qu'elle pensait morte à la naissance, c'était beaucoup d'émotions. « C'est bon, ta mère dort. Elle a beaucoup parlé de ta soeur... Tu crois qu'on va pouvoir la rencontrer bientôt ? » Sasha baissa la tête. A vrai dire... elle ne connaissait pas vraiment Jess. Tout ce qu'elle savait, c'est qu'elle était sûrement très différente de ce qu'ils imaginaient. « J'en sais absolument rien... déjà, je la connais pas encore assez bien et puis... je sais pas non plus si elle, elle est prête à connaître ses parents biologiques. Ça fait pas si longtemps qu'elle sait qu'elle a de la famille ici, c'est pas comme si c'était une enfant qui avait été juste adoptée et voulait rencontrer ses parents pour savoir pourquoi ils l'avaient pas gardée.. » Sasha ne pouvait pas se mettre dans la tête de Jess, mais elle se doutait que ce n'était facile ni pour ses parents ni pour sa sœur. Et ses parents comptaient probablement un peu trop sur Sasha pour jouer les médiatrices alors qu'elle était aussi perdue qu'eux ou Jess. Sasha pouvait toujours dire à Jess que leurs parents étaient de retour, qu'ils étaient prêts à la rencontrer dès qu'elle-même sentirait que c'était le bon moment. A part ça, Sasha ne pouvait pas faire grand chose de plus. Pour ne pas qu'ils s'inquiètent, Sasha n'avait pas osé dire à ses parents qu'elle n'avait plus d'appartement et vivait chez un ami. Elle leur avait dit qu'elle avait volontairement arrêté ses études parce que ça ne lui plaisait plus et ils ignoraient qu'elle avait perdu son emploi depuis longtemps. Elle qui n'avait jamais menti de toute sa vie à ses parents, c'était difficile de garder la face, de les regarder droit dans les yeux en leur disant que tout allait bien dans sa vie. Après tout, elle aurait pu revenir vivre avec ses parents et cesser de squatter chez les Morgan mais... elle se refusait à ce que ses parents sachent que leur fille avait finalement raté sa vie... Et puis il y avait Ezekiel... Non seulement, elle se sentait bien avec lui mais il avait tellement fait pour elle qu'elle se sentirait coupable de partir du jour au lendemain. Il l'avait hébergée, il lui avait racheter des vêtements, des livres, des affaires nécessaires et même des trucs inutiles. Il avait été son ange gardien, elle avait essayé de lui rendre la pareil en faisant à manger aux jumeaux, en faisant les courses et le ménage, en se rendant aussi utile que possible au quotidien. Et avec tout ça, elle n'était pas prête à partir de chez lui.