Aaron ♞ Téléchargement du titre en cours...

Je suis né un 3 avril, dans une famille en apparence parfaite. Fortunés, amoureux, heureux, mes parents avaient tout pour être enviés, mais dans ce monde, celui de la bourgeoisie moderne, les apparences sont souvent trompeuses et mes parents n'échappèrent pas à la règle. Mariage de bons procédés, alliance utile et agréable, ils ne s'aimaient pas d'un amour profond, mais aimaient plutôt ce que chacun apportait à l'autre, en terme de finances et d'alliance. Un couple fonctionnel, un duo professionnel remarquable, mes parents bossaient de concerts dans la société montée par mon grand-père paternel et excellaient. L'alliance maritale n'avait servi qu'à asseoir un peu plus leur collaboration fructueuse.

De leur union naquirent trois enfants, mon frère, de deux ans mon aîné, Dawson, puis moi et enfin ma sœur cadette Adela, trois ans plus tard. Trois enfants désirés, trois enfants aimés, trois enfants destinés à devenir les dignes héritiers de leurs parents... Pauvre fous qu'ils étaient...

J'avais six ans lorsque les choses commencèrent à déraper. Rien de bien fantastique, j'allais l'apprendre quelques années plus tard. Arriva ce qui arrive à bien des gens comme nous : la crise et des placements malheureux qui mirent à mal les finances de la famille. Grâce à un bon conseillé et un travail acharné, mes parents réussirent à remonter la pente et à retrouver le même niveau de vie, mais les choses ne furent plus jamais pareil. De frustration, mon père se mit à boire. D'abord un verre, le soir, pour décompresser, puis deux, puis trois... puis rapidement, sans qu'on ne s'en rende compte, il se mit à boire tout le temps, au grand damne de ma mère...

A cette époque, bien sûr, je ne comprenais pas. Ni la maladie de mon père, ni le pourquoi des cris, des disputes, des faux semblants. Heureusement, j'avais Castiel, mon meilleur ami, mon frère de cœur. Il me réconfortait dans la cour de récré quand cette vie devenait trop lourde à supporter et m’accueillait pour dormir chez lui. Et les trucs d'enfants ainsi continuèrent des années, même au secondaire, même une fois adolescents, ses parents bien moins compatissants de voir l'adolescent squatter chez eux qu'ils ne le prenaient lorsque j'étais enfant. Sans doute une histoire de place ! Il faut dire que j'ai rapidement grandit à n'en plus finir, au point de ressembler à un géant d'après beaucoup de personnes !

Malgré tout, rien n'était simple et certainement pas la vie. Si mon père abusait encore et toujours de l'alcool à s'en détruire le foie, ma mère abusait de sa carte de crédit, mon frère et ses poings et ma soeur... Ma Dela, elle, commença à abuser de la drogue... Je la regardais s'enfoncer avec impuissance, mes parents la protégeant, s'arrangeant pour que personne ne voit qu'elle se droguait, pour que personne ne la soumette à aucun test, barrant toutes mes tentatives de lui faire suivre un programme de désintoxication. Pourtant, c'est moi qui rattrapais. C'est moi qui allais chercher ma sœur la nuit, quand elle appelait en pleurs, ne sachant même plus où elle se trouvait. Moi qui allais récupérer mon frère à l'hôpital ou en prison quand il se bagarrait. Moi qui ramassais mon père, quand il s'écroulait sur le tapis de son bureau, trop ivre pour aller jusqu'à son propre lit. Oh j'aurais pu partir en vrille, moi aussi, mille fois sans doute, si Castiel n'avait pas été là, toujours et éternellement là, à me faire courir jusqu'à n'avoir plus d'énergie, à me faire taper sur un ring de boxe plutôt qu'au lycée, à me faire suer sang et eau pour que je n'ai plus assez de liquide en moi pour m'écrouler. On peut dire que j'étais son premier élève, lui qui devint par la suite un si bon prof de sport. Et pendant tous ces entrainements, il m'apprit à utiliser de manière efficace toute cette rage, toute cette colère. A chaque fois qu'il me faisait courir pour oublier, chaque fois qu'il me faisait cogner sur un punching ball plutôt que sur le visage d'un abruti, il m'apprenait à me canaliser et à me servir de ça pour faire quelque-chose qui avait du sens. Sans doute que cela m'aida, aussi, un peu, à prendre mon courage à deux mains pour intégrer l'école de police, transformer cette rage d'être impuissant à sauver ma famille pour en sauver d'autres, avec les bonnes armes.

Vingt-cinquième anniversaire, des études dans la police qui ne faisait pas l'unanimité dans la famille, mais qui avaient au moins le mérite de me donner une raison de vivre, une raison d'être et qui m'avait permis de trouver une figure paternelle là où ma maison en manquait cruellement. Il s'appelait David, il avait de la bouteille et un sacré tempérament de vieux sage désabusé, mais je l'adorais et il m'apprenait plus sur le métier et sur la vie que n'importe qui d'autre. Alors, quand mon frère fut une nouvelle fois hospitalisé après une rixe avec des caïds du coin, il fut le premier que j'appelais, au désarroi et il fut le premier à arriver, avec sa nonchalance habituelle, son cigarillo au coin du bec et son réconfort tout à pudeur des vieux baroudeurs. Dawson mourut ce soir-là, à vingt-trois heures, cinquante-sept minutes et treize secondes. Ma mère pleura toutes les larmes de son corps, mon père resta prostrée et ma sœur me regarda comme si j'étais coupable.

Avec les années, elle avait fini par me prendre pour un héros, me voir en sauveur, celui qui devait sauver notre père de l'alcoolisme, notre frère de ses mauvaises fréquentations et elle de ses addictions. Elle me pensait super-héros et elle avait la preuve, ce soir-là, que je n'étais qu'un homme désemparé. Ce fut David qui donna le coup de grâce, regardant ma sœur avec une froideur sourde et lui disant les mots qui resteront à jamais gravé dans mon esprit. « Et maintenant, fillette ? Tu te bats ou tu rejoints ton aîné dans la tombe ? »

Ma mère avait hurlé, mon père avait ragé et menacé de lui casser la figure, mais les mots avaient raisonné dans l'esprit de Dela comme aucun autres. Le lendemain, elle avait disparu, une valise entière de sa chambre avec elle et David me révéla qu'il l'avait conduit dans la nuit dans un des meilleurs centres de désintoxication du pays, à sa demande volontaire.

Mon père mourut quatre ans plus tard d'une cirrhose et je rencontrais Lissa le jour de son enterrement. Elle travaillait pour mon père et elle était venue lui rendre hommage et j'eus un véritable coup de foudre. On pouvait dire que c'était choquant, d'avoir un coup de foudre amoureux le jour de l'enterrement de son père, non ? Ce fut le cas, cependant et en moins de quelques semaines, nous vivions une histoire passionnelle et passionnée, faites de beaucoup de hauts, mais aussi de beaucoup de bas. Lissa était forte et indépendante, mais aussi terriblement jalouse et je l'aimais comme un fou, à devenir dingue chaque fois qu'un autre type posait ses yeux sur elle. Notre histoire s'acheva par trois fois, avant que l'on se réconcilie dans un feu passionnel incendiaire et après quatre ans dont une dernière année plus posée, je décidais de la demander en mariage, ce qu'elle accepta. Par manque de temps, de moyens, peut-être aussi à causes des derniers chamboulements, nous avons fini par repousser le mariage encore et encore, mais nous nous étions toujours dit que nous avions le temps, alors l'année à filer et nous sommes aujourd'hui fiancé depuis plusieurs mois sans qu'aucun préparatif n'ait encore été mis en route.

L'année suivant ma rencontre avec Lissa, David décida de prendre sa retraite. Fatigué du métier, désireux de passer du temps avec sa femme, il rendit plaque et arme et on m'affubla d'une toute jeune lieutenant : Savannah Winchester. Elle était agréable, simple, gentille et très vite, nous devinrent plus que partenaires. Amis, frère et sœur de cœur... peut-être autre chose... En tout cas je l'adorais et j'adorais cette facilité avec laquelle on pouvait parler et travailler, puis, peu à peu, parler de nos vies, de nos problèmes, nous appeler quand cela n'allait pas. Une relation sincère et forte loin de plaire à Lissa, qui me reprocha maintes et maintes fois d'accourir dès que Savannah appelait, même en pleine nuit...

Et ces dernières semaines, les choses ont empiré, parce que Savannah m'a appelé un soir après une enquête très difficile et que nous sommes sortis boire un verre pour mettre cela derrière nous. Parce que je ne suis pas rentré de la nuit, trop alcoolisé pour rentrer en voiture et que Savie m'a offert l'hospitalité de son canapé. Parce que lorsque je me suis réveillé, au matin, j'avais quinze appels manqués et au moins autant de messages me demandant de rappeler immédiatement. Parce que Lissa était à l'hôpital... Elle était enceinte. Elle le savait depuis trois semaines et ne m'avait rien dit, ne sachant pas comment j'allais réagir. Sauf qu'elle avait perdu l'enfant et que je n'étais pas là et injoignable. Toujours avec Savannah, d'après elle. Encore et toujours avec Savie, plutôt qu'avec elle. Alors, nous sommes rentrés à la maison et depuis, nous sommes comme deux étrangers. Elle fait son deuil de son côté et je ne sais comment faire, comment pleurer un enfant qui n'existait même pas avant d'avoir disparu. Je n'en parle à personne, j'ai juste évoqué avec Savie la colère de Lissa contre moi après cette soirée sur son canapé, mais le reste, je ne peux en parler. Ni à Castiel, ni à Savannah. Ils sont parents, ils ne comprendraient pas... Et puis mon meilleur ami vit une histoire d'amour parfaite avec son épouse. J'aurais trop honte de lui avouer que je n'arrive même plus à communiquer avec celle que je considère pourtant comme la femme de ma vie... Alors, pour la première fois depuis longtemps, je tais plus de choses que jamais, même si je parle et même si je continue de me plaindre...