Chapitre 1 ☆ Les hurlements effrayants de la nuit ne venaient pas du profond de mon inconscient, mais de la cuisine...
Le bébé pleurait. Le bébé pleurait si fort, les cris de ma mère dans la cuisine l'ayant réveillé, l'ayant effrayée. Alors je l'avais prise avec moi, dans ma chambre, dans mon lit, essayant de la calmer, avant que mon père ne l'entende. Il ne l'aurait pas supporté. Il n'aurait pas supporté d'entendre les cris de bébés. Pas après avoir tapé si fort sur maman qu'elle n'aurait plus été capable de hurler de douleur. Et maman avait commencé à hurler pour qu'il s'en prenne à elle et pas au bébé. Maman faisait toujours cela. Maman se mettait entre papa et la porte et hurlait jusqu'à ce qu'il la frappe elle, se défoule, évacue toute sa haine. Elle avait toujours dit « Moi plutôt que toi... ». Elle l'avait toujours répété comme un mantra, quand elle se glissait dans mon lit, une fois papa écroulé dans leur lit ou sur le sol, quand elle me serrait contre elle en pleurant, caressant mon dos pour calmer mes propres larmes silencieuses. « Moi plutôt que toi, mon amour... Mon bébé. Moi plutôt que toi... »
Quand maman avait fait le test et qu'il s'était révélé positif, elle avait pleuré. Encore un bébé à plonger dans ce triste monde. Encore un bébé qu'elle devrait protéger de lui... Ma petite sœur était née quatre jours plus tôt et elle n'avait toujours pas de prénom. Elle n'était que « le bébé » et aucun médecin n'avait jusqu'à présent vu l'enfant pour savoir si elle allait bien.
Papa était saoul, maman était blessée, frappée durement par les poings de son mari. Aucun d'eux ne voulait qu'un médecin voit cela et je devais m'occuper de bébé, même si j'étais à peine assez grand pour la porter tout seul...
Il avait fallu une semaine. Une semaine entière pour que les plaies sur maman disparaissent. Une semaine pour qu'elle ose enfin emmener le bébé chez un médecin et lui donne un nom : Natalia. Natalia allait bien, contre toute attente. Natalia était saine et sauve, forte. Plus forte que la plupart des bébés. Tant mieux. Il le fallait, pour vivre dans cette famille...
Chapitre 2 ☆ Les cauchemars ne m'avaient jamais fait peur. La vie était bien pire...
Les années avaient passé. Les choses avaient changé, mais étaient restées assez identiques. Avec les années, la fin de l'innocence, le début de la compréhension, j'avais compris. Compris que mon père était un alcoolique notoire, violent, pervers. Ma mère avait finalement dégoupillé le jour où elle l'avait surprise regardant un peu trop étrangement Natalia dans son bain. Elle avait pris Nana, quatre ans, dans ses bras, m'avait dit d'aller dans la chambre et nous avait enfermé tous les trois, appelant la police, portant plainte, faisant tout pour que papa aille enfin en prison pour tout ce qu'il avait fait. Les plaies sur le corps de maman, les radios, les examens, avaient rapidement prouvé ses accusations et papa n'avait eu aucune chance.
J'avais pensé, innocemment, que nous étions libres, enfin tranquille, mais je me trompais. Maman n'était pas plus sage. Maman n'était pas une héroïne protégeant ses enfants de son corps. Maman avait ses propres problèmes. La drogue, pour commencer. Une drogue dure qui lui était nécessaire, comme vitale, même si elle savait que cela la tuait. L'amour ensuite. Maman avait besoin d'amour. Maman avait toujours l'impression de manquer d'amour. Alors elle s'efforçait toujours de trouver quelqu'un pour l'aimer. Qu'importe qu'il soit bon ou mauvais. Qu'importe qu'il soit doux ou violent. Elle avait besoin de se sentir aimer, de croire que cela était sincère et les hommes eurent tôt fait de défiler dans nos vies, certains bons, mais brièvement de passages, trop inquiet d'être auprès d'une femme avec tant de problèmes, beaucoup mauvais, drogués comme elle, ou alcoolique, violent ou abusifs. Protéger Nana demandait une vigilance de tous les instants...
Très tôt, l'école devint donc optionnelle pour moi. Pas par choix, mais par obligation. Je devais être rentré avant Nana, pour ne jamais la laisser seule avec un des mecs de ma mère. Je devais travailler, pour pouvoir lui acheter à manger. Je devais me débrouiller, pour pallier aux manques de maman. Maman dont tout l'argent passait dans la drogue, quand ses amants ne la volaient pas. Maman qui s'écroulait sur le canapé, trop fatigué pour faire à manger. Maman qui subissait de lourdes périodes de manque... L'école avait moins d'importance que cela. Aussi n'avais-je jamais obtenu de diplôme, jamais réussi à l'école. Ma seule constante : les cours de théâtre. Les seuls que je ne ratais jamais, les seuls où j'étais dans le rang des meilleurs, dans le rang des jeunes premiers. Si mon professeur de théâtre n'avait pas aussi été le professeur de littérature anglaise, il n'aurait jamais pu croire que j'étais un tel mauvais élève, un tel mauvais garçon, habitué à se retrouver dans les bagarres et les heures de colles, aussi fréquemment qu'absent en classe...
Chapitre 3 ☆ Quand la vie va de mal en pis...
Je m'allongeais sur le lit de Zoey après avoir branché la console, lui tendant une manette avant de prendre la mienne. Je lançais le jeu et commençait à jouer, l'esprit en feu, le regard concentré sur l'écran. « Ils ont pris Nana », soufflais-je simplement, comme si je parlais de la météo. Je vis dans le regard de la blondinette que les mots n'étaient pas clairs. Comment pouvais-je le lui en vouloir. Elle avait 16 ans, elle ne pouvait pas comprendre. Je mis sur pause, posant la manette sur mes genoux, avant de planter mon regard sur la jeune femme. Zoey était mon amie depuis... Et bien depuis toujours. Les Stark avaient toujours été là pour moi. Enfant, je jouais avec Zoey et ses frères dans le jardin, sous le regard attentif de leur oncle. Plus âgé, j'avais commencé à venir ici, m'offrant un peu de répit à ma vie en passant du temps chez eux. L'accord était tacite : ne pas parler. Ni de ma mère droguée, ni des nombreux hommes qui défilaient à la maison, ni de mes problèmes de jeune homme devant assumer une famille dysfonctionnelle. Si ça n'était pas moi qui commençait, on parlait de tout, sauf que ça, on s'amusait, on se consolait, mais on ne parlait pas. Le silence était d'or pour m'offrir un peu de répit...
« Elle a fait une crise. Ils ont dit qu'elle était probablement schizophrène. Ils doivent faire des tests, mais elle parle à des hallucinations et elle essaye de se blesser à la moindre occasion... »
Zoey n'avait pas parlé tout de suite, se contentant de me prendre dans ses bras, de se montrer présente, soutenante, sans doute consciente qu'aucuns mots ne pourraient soulager la douleur que je ressentais à ce moment, alors que Nana, ma Nana, ma petite sœur adorée, se retrouvait hospitalisé à l'âge de dix-sept ans pour une maladie dont elle ne se remettrait sans doute jamais.
Il avait fallu trois semaines. Trois semaines pour que le diagnostic soit confirmé, qu'un traitement soit mis en route et que les médecins parlent d'une possible stabilisation. Nana était schizophrène... Ma mère n'avait pas supporté l'idée et s'était droguée en non stop depuis l'hospitalisation, passant du coma léthargique aux moments de crises de manque... La nouvelle définition de ma vie... sans doute...
Chapitre 4 ☆ Toucher son rêve du bout des doigts... Avoir une chance d'un avenir heureux... C'était mon plus grand rêve...
Elle s'approcha de moi avec un grand sourire, magnifique dans sa petite robe noire. Aucun membre de la famille Stark n'aurait loupé ma première et je leur en étais si reconnaissant. Ma sœur avait été hospitalisé, une nouvelle fois, ma mère était trop défoncée pour être présente, alors je n'avais qu'eux, ma famille, mon soutien éternel. « Tu étais géniale », s'exclama Zoey en s'approchant et je la pris dans mes bras, un grand sourire aux lèvres, alors que les garçons la suivaient. Je serrais la main de chacun d'eux, avant que Dorian ne me prenne carrément dans ses bras. « Toutes mes félicitations, mon grand », souffla l'homme, avant de me relâcher, alors que je rougissais furieusement peu habitué à tant de fierté dans le regard de quiconque.
J'avais finalement presque trouvé la voix du bonheur. Une fois Nana en institution, il n'était resté que ma mère, désormais trop faible et trop imbibé de drogues pour penser à se trouver quelqu'un. Le calme avait presque pu revenir à la maison et après vingt-deux ans de survie, j'avais enfin pu envisager de vivre. Avec le soutien de mes voisins, de ceux qui représentaient presque ma famille, j'avais fait des projets, j'avais commencé à travailler dur, pour que le théâtre ne soit plus qu'une passion chassant la misère.
Après le lycée, j'avais voulu intégrer une école d'arts dramatiques, mais sans diplômes, mes Graduates étant désespérément nuls, aucune école n'avait voulu de moi. Il m'avait fallu de l'ardeur au travail et de la persévérance pour obtenir un casting annexe, une chance particulière et inespérée, mais mes efforts avaient fini par payer. Même sans diplôme, j'avais intégré la première année, à un âge supérieur aux autres et avec une menace : A la moindre incartade, à la moindre mauvaise note, je prendrais la porte. Alors, j'avais travaillé deux fois plus que quiconque, rattrapant mon retard en littérature, en anglais, en histoire de l'art, ne comptant pas mes heures, pour être bon, pour être excellent, même.
« Merci », soufflais-je, un grand sourire aux lèvres. Heureux de toucher enfin mon rêve. Heureux de l'avoir enfin juste au bout des doigts.
Chapitre 5 ☆ Elle apparut comme une illusion, un doux rêve pour chasser la froideur de la nuit... Elle était réelle, mais inaccessible...
« Je ne peux pas l'accepter », dis-je, le corps et l'esprit emprunt des émotions de mon personnage, alors que je m'approchais pour serrer Darcy contre moi. « Je ne peux pas supporter l'idée qu'à cause des défauts de mon père, je ne pourrais t'épouser. Je le refuse... »
Je pris quelques secondes pour l'observer, elle réellement et pas son personnage. Darcy Lynn Potter. Si belle, si talentueuse, si parfaite... Je l'avais rencontré dès mon premier jour sur la pièce et sa beauté m'avait frappé. Cette volonté dans son regard, cette puissance dans le jeu, cette passion. Elle ne vivait que pour le théâtre, comme moi. Elle travaillait dure, tout comme moi et elle était magnifique. Et dans son travail et dans la vie... J'étais passionné par mon travail, le simple fait de jouer avec elle rendant la pièce encore plus attrayante. J'étais heureux, chaque jour, chaque soir, de la tenir dans mes bras et de lui déclarer des mots d'amours. Ces mêmes mots que je ne pourrais jamais lui déclarer dans la vraie vie.
Pourquoi ? Parce que cela ne serait pas correct. Si nous étions proches dans la pièce, nous ne l'étions pas dans la vraie vie. Si elle était amoureuse de moi dans la pièce, elle ne l'était pas dans la vraie vie. Si rien sinon le comportement de mon père dans la pièce ne nous empêchait de vivre une idylle, tout dans la vraie vie nous séparait. J'avais une vie chaotique, un passé trouble, elle était une petite fleur ayant toujours vécu dans un monde surprotéger. Elle était douce et innocente, j'étais pervertie et en colère. Elle était surprotégée par son père... J'avais une famille les moins irréprochables qui soient. J'avais vingt-six ans, elle n'en avait que dix-huit. Elle était si jeune, si innocente et j'étais trop sombre pour elle. Alors je l'évitais, d'une certaine façon, l'adorant en secret, dans l'ombre et prétendant ne pas m'intéresser à elle. J'étais bon pour jouer la comédie. Je la jouais depuis ma plus tendre enfance, juste pour survivre, juste pour oublier, l'espace d'un instant, qui j'étais et qu'elle était ma véritable histoire. Je pouvais prétendre que cette jeune fille ne me retournait pas totalement la tête et ne perçait pas mon cœur de ses tendres yeux azurs... Non ?