N°#1205 Une explication s'impose [Maeve]

Je ne savais pas moi-même quand j'étais devenue « grande ». Un jour, j'avais eu envie d'être grande, tout en me satisfaisant des bras protecteurs de ma mère, mais aujourd'hui, j'avais envie, besoin et nécessité de faire les choses toute seule. Peut-être que j'avais enfin réalisé que ma mère ne serait pas éternelle et qu'un jour, il me faudrait assurer seule toute ma vie... ou peut-être que j'avais juste gagné peu à peu en maturité. Ce dont j'étais certaine, c'est que je détestais le monde compliqué des adultes, mais je ne me voyais pas repartir dans les bras sucrés et cotonneux de l'enfance. Même avec toute la volonté du monde, je n'y arrivais plus.

Ce que je savais, c'est que j'aimais ma mère et que je voulais lui rendre la vie la plus douce possible. Une sorte de remerciement pour toutes ses années de dévouement. Il fallait croire que j'avais lamentablement échoué. Je ne pouvais pas le nier. Alors, il fallait que je répare. Pas le choix. Je ne pouvais pas lui imposer de devoir réparer. Je hochais la tête à sa dernière demande et me serrait un peu plus dans les bras de ma chère maman. « D'accord. Je ne le referais plus », promis-je avec toute la sincérité du monde. Je n'allais peut-être pas réussir, mais au moins, j'allais tout faire pour essayer... Mais pour cela, il fallait que je lui avoue autre chose, parce qu'en y réfléchissant bien, j'allais à nouveau la décevoir, encore plus si elle le découvrait avant que je ne le lui avoue. Alors, doucement, je me défis de ses bras, repliant mes jambes sur le canapé pour entourer mes genoux de mes bras, alors que je la regardais de biais, osant à peine croiser son regard.

« Maman... », commençais-je, d'une petite voix d'enfant. « Il faut que je t'avoue autre chose... Tant qu'on en est là... » C'était difficile. Je ne savais pas comment lui dire la chose, mais je devais le faire. Je ne pouvais pas ne pas le lui dire et je ne pouvais pas lui mentir. Plus maintenant. J'inspirais donc un grand coup, avant de fermer les yeux. « je vois encore Pa'... régulièrement... » Je savais qu'elle n'aimait pas trop quand je l'appelais « Pa' ». Que c'était une des choses qui avaient précipité leur séparation, parce qu'il avait pris dans nos vies une place qu'elle n'avait pas voulu lui donner, mais je n'arrivais pas à l'appeler autrement. Il avait été comme un paternel pour moi. Une figure d'homme sur laquelle je pouvais compter. Je l'aimais. Elle n'avait pas voulu qu'il ait cette place dans ma vie, mais moi, je la lui avais donné. Et si j'avais eu ce besoin de rencontrer mon véritable père, même si j'avais toujours considéré qu'Henry n'était pas mon père, il était mon Pa', ma moitié de papa...

« C'est pas sa faute », soufflais-je précipitamment en me tournant vers elle. « Ne lui en veux pas... S'il-te-plait... Il ne voulait pas te manquer de respect ou aller contre ta volonté. C'est moi qui suis allé le voir. J'avais besoin de son avis pour un truc... Un truc pour lequel tu ne pouvais pas m'aider - même avec toute ta bonne volonté de maman parfaite - et il... Il ne voulait pas me blesser non plus en me mettant à la porte. » J'adorais ma mère et en général, elle pouvait être d'une grande sagesse et d'une grande aide pour beaucoup de choses, mais il y avait certains sujets pour lesquelles elle n'était pas d'une grande aide. Elle était ma mère. Ma génitrice. Il y avait des choses pour lesquelles elle n'était pas capable de penser de façon impartiale...

Je savais qu'elle n'allait pas apprécier mes aveux. Il y avait tellement de choses que je lui avais caché ces derniers temps. J'adorais ma mère. Je lui faisais une confiance aveugle et pourtant, ces derniers mois, je n'avais eu de cesse de lui cacher des choses. Je m'en voulais. Pas de l'avoir fait. J'estimais que j'avais le droit d'avoir mon jardin secret et le droit de choisir les gens que je voulais dans ma vie, mais je m'en voulais que cela puisse la blesser.

« Ça c'est entre lui et moi », dis-je, plutôt protectrice avec les moments que je vivais avec Henry. Je baissais, malgré tout, les yeux en me mordant la lèvre, malgré ma volonté d'assumer envers et contre tout. « Écoutes m'man, je sais que c'est en partie à cause de la manière dont je voyais Henry que tu as rompu avec lui... Mais c'est trop tard pour moi, tu comprends ? » Je relevais les yeux, essayant d'assumer pleinement les prochains mots et de le lui montrer. « Je l'aime beaucoup, même si toi, t'es pas amoureuse de lui. Il a toujours été là pour moi. Je... Il y a des choses, des questions, auxquelles mes amis ne peuvent pas répondre. Des choses qui demandent une réponse d'adulte. Et pas une réponse de ma mère. Henry a été cet autre adulte. Cet adulte qui n'était pas mon parent, mais en qui j'avais assez confiance pour raconter des choses... Personnelles. »

J'attrapais la main de la maman pour poser un baiser sur son dos. « Je t'aime, maman et je te fais une confiance aveugle... Mais même si je sais que je peux te parler de tout, il y a des choses où je ne peux vraiment pas te poser les questions. » Comme les garçons. Je ne savais pas vraiment ce que ma mère savait de mon rapport aux garçons et c'était définitivement quelque-chose que je ne pouvais pas voir avec elle. Ma mère était sur-protectrice. J'adorais ce cocon dans lequel elle tentait de m'enfermer, mais il devenait lourds quand il était question de relations intimes. J'étais le bébé de ma mère. Imaginer que je lui parle de ma sexualité était complexe, même si pas impossible. Henry avait été là, à cette époque. Un autre adulte qui me traitait moins quand le fruit de ses entrailles, un garçon, qui plus est. Je n'avais jamais vraiment eu de questions réellement liée à ma sexualité, mais il avait surtout été là quand j'avais commencé mon histoire avec Casey. Il n'avait pas tout su - notamment pas la différence d'âge - mais quand j'avais flippé face à ma première relation sérieuse, face à mes sentiments, il avait été là pour me dire de respirer, de ne pas m'en faire et de laisser la nature faire et construire notre relation, telle qu'elle devait l'être. Il avait été là chaque fois qu'il avait fallu me promettre que si un garçon me faisait du mal, il s'occuperait de son cas. Il avait été un interlocuteur privilégié lors de ma construction en tant que femme, émancipée du carcan de bébé que je ne voulais pas perdre dans les yeux de ma petite maman.

J'inspirais un bon coup pour essayer de me donner le courage de continuer. « Tu comprends, maman ? », demandais-je, voulant à tout prix sauver toute cette histoire. J'avais besoin qu'elle comprenne. Ce n'était pas contre elle. Ça n'avait rien à voir avec ça. C'était toute autre chose. Je m'étais juste tournée vers Henry plutôt que vers une conseillère d'éducation à l'école. Cet homme comptait dans ma vie et je n'avais pas voulu le perdre. « Crois-moi maman, il ne remplace personne. Ni toi, ni mon père, ni personne. Il est juste quelqu'un en qui j'ai confiance et qui, je sais, ne souhaite que je sois bien et en sécurité. Tu peux pas lui en vouloir de m'apprécier assez pour vouloir me protéger et pour respecter ma demande de ne pas t'en parler comme si je faisais quelque-chose de répréhensible. »

J'étais mal. Je m'en voulais, mais d'un autre côté, j'en voulais à ma mère de ne pas me comprendre. Elle avait fait rentrer Henry dans ma vie et je l'aimais. Elle me l'avait arraché, sans me demander mon avis. C'était injuste de me priver de lui parce qu'elle ne le voulait pas dans SA vie. C'était injuste de me traiter encore comme une enfant à propos de qui je fréquentais ou pas. Avant, quand j'étais petite, c'était son droit, mais plus aujourd'hui. Je serrais les poings, alors qu'elle me disait que cela la dérangeait, qu'elle me demandait comment je me sentirais à sa place, pire, elle se disait déçue. Je me détachais complètement d'elle sous le choc, me déplaçant vers le bout du canapé, les poings serrés sur mes genoux. Je devais être belle à voir, avec mes larmes aux yeux, les traces des gouttes tombées sur les joues, mon air choqué et mes poings tremblotant sur mes genoux.

Oui, j'aurais peut-être dû lui en parler, mais franchement. « Quand je vois comment tu réagis maintenant, non. Je ne pense pas que ça se serait mieux passé », dis-je, plus froidement que je ne m'en pensais capable. « Pardon d'être une telle déception pour toi, maman. » Je me levais du canapé, enroulant mes bras autour de moi, posant mes mains sur mes coudes, après avoir brièvement essuyé mes joues avec la paume de ma main. « Pardon de ne pas être la parfaite petite fille que tu voudrais, mais la fille qui tombe amoureuse du mauvais garçon... » Les larmes se remirent à couler malgré moi. « Pardon de ne pas être la brave petite fille qui n'a pas besoin d'être au contact d'autres gens que sa petite maman pour... Pour quoi, d'ailleurs ? » Qu'est-ce qu'elle voulait, au juste ? Que je reste éternellement un bébé ? C'était trop tard pour ça. Je ne l'étais plus depuis longtemps.

Je secouais la tête, cherchant à casser ce flot de pensée qui me tuait, qui me faisait pleurer encore et encore et avant qu'elle ne puisse répondre ou réagir, je me précipitais loin d'elle, dans ma chambre, claquant la porte avant de me jeter sur mon lit. Avant qu'un immense sanglot ne me ravage encore, je plongeais ma tête dans l'oreiller, hurlant fort, aussi fort que je pouvais, le coussin moelleux étouffant mon cri, à mi-chemin entre la rage et le désespoir. Je me brisais à nouveau, me reprenant toutes les vérités en face. Casey, Henry, Aiden... J'avais tout foiré. Pas étonnant que je sois une si grande déception pour la personne qui comptait le plus au monde.