Sinéad O'Brien - Not all those who wander are lost

« - Stan ! Allez ! Arrête de faire le débile et rend moi mon téléphone !
- Viens le chercher la débile !
- Allez Stanichou, rend lui son téléphone, tu vas tous nous mettre en retard.
- Ne m’appelle pas comme ça, crétin !
- Je peux me défendre toute seule, merci !
- Bougez-vous, j’ai un exam super important aujourd’hui et je n’ai pas envie de me faire remarquer par la tribu de singes que vous êtes.
- Ououahah !
- Crétin va !
- Bonne journée les enfants, amusez-vous bien à l’école !
- Ouais, c’est ça. A ce soir, papa ! »

Et répétez le même modèle à l’infini. Voilà à quoi ressemble ma vie. Je sais, comme ça on dirait que je me plains, mais en vrai c’était pas si mal. Comme vous l’aurez compris, je suis la dernière d’une fratrie de trois frères, autant dire que j’étais à la maison à la fois la princesse, la débile mais aussi la chouchoute de la famille. Beaucoup de rôles à jouer en même temps donc. Cependant, j’ai vite appris qu’avec trois frères tous plus bruyants les uns que les autres j’allais devoir gueuler plus fort que les autres pour arriver à me faire entendre. Vous vous demandez sans doute où est ma mère dans toute cette histoire. Elle est partie... Enfin je veux dire qu’elle est décédée, peu après ma naissance. Accident de la route. Elle avait insisté pour aller faire quelques courses à la supérette du coin histoire de prendre l’air. Elle n’est jamais revenue. J’étais encore bébé lorsque ça s’est passé, je devais avoir à peine quelques semaines. Le résultat c’est que je n’ai aucun souvenir d’elle. Enfin, mis à part tout ce que l’on me raconte sur elle. Qu’elle était magnifique (c’est fou ce que tu lui ressembles, de vraies jumelles !), intelligente, une neurochirurgienne comme on en fait plus aujourd’hui (tiens c’est dommage Sinéad que tu ne marches pas dans ces pas), têtue comme une mule mais d’une douceur incroyable, elle avait vraiment une aura spécifique. Une telle aura que mon père n’en pouvait sans doute plus d’entendre à quel point ma mère était incroyable, alors on a déménagé lorsque j’avais trois ans (juste le temps pour Colin de finir la primaire et d’atterrir dans le collège, vive le bain des grands !).

Mais allons vers des histoires un peu plus joyeuses. Mon père a choisi Galway, parce que l’air y est plus vivifiant disait-il. J’ai donc vu la mer pour la première fois à mes trois ans, et depuis je n’arrive plus à m’en séparer. Je suis mariée avec la mer, eh ouais rien que ça ! L’eau qui va et vient à toujours eu le don de m’apaiser, quel que soit ma colère ou ma tristesse. Sinon j’ai eu une enfance et une adolescence, tout ce qu’il y a de plus banales. Mon père a parfois essayé de ramener une « amie » et soit elle abandonnait en voyant mes trois singes de frères, soit... disons que je me chargeais personnellement de l’accueillir. Comme ça, j’ai l’air d’une garce, mais comprenez bien que j’étais, et je le suis toujours d’ailleurs, la princesse de mon père et je ne laisserais aucune pouf avec des exigences bien spécifiques prendre ma place ou celle de ma mère. Rendez-vous bien compte qu’un jour l’une d’elle a voulu que je l’appelle maman... au bout de deux dîners chez nous. Autant vous dire qu’avec mes frères on s’est regarder et mon père n’a pas eu le temps de ramener les soufflés qu’elle était déjà repartie (c'est dommage d'ailleurs parce que le repas de mon père était vraiment divin). C’est étrange mais on ne l’a plus jamais revu. A part ça, notre vie était aussi mouvementée qu’elle doit l’être avec un père veuf gérant quatre enfants dont trois garçons et la dernière demandant un peu trop d’attention de la part du roi son papa.

Oh bien sûr, j’ai fait quelques bêtises au lycée. Un peu d’herbes, une cigarette de temps à autre, des soirées où l’alcool coulait à flot alors que ça n’aurait pas dû être le cas. Mais bon, jeunesse doit bien se faire non ? C’est d’ailleurs à cette époque-là que j’ai rencontré Steve. C’était pour moi le plus beau garçon que mes yeux avaient eu le droit de regarder. Un peu de flirt et quelques rendez-vous plus tard, on était ensemble pour le reste du lycée. On partageait les mêmes idéaux. On passait des soirées entières à refaire le monde en imaginant ce que serait notre vie après le lycée. On rêvait des mêmes choses et on pensait pouvoir vivre d’amour et d’eau fraîche. Et ça a marché après le lycée, du moins pendant un temps. Après le lycée, direction Trinity College, étude d’anglais pour moi et d’Histoire pour lui. On passait nos semaines à étudier et faire la fête et le week-end on se barrait où le vent nous portait pour des « Magical Mystery Weekend ». Sans doute la meilleure période de ma vie parce qu’on était l’insouciance même. A la fin de la fac, on a trouvé une espèce d’équilibre de vie. On a emménagé ensemble à Galway (retour au bercail) où j’étais prof à mi-temps ce qui me permettait d’écrire le reste du temps pendant que Steve bossait au musée (gratuit) de Galway et pour arrondir nos fins de mois il avait pris un second boulot comme barman au The Front Door (il a vite réussi à ne bosser qu'au comptoir d'en bas, ça lui permettait de pouvoir pleinement profiter des groupes qui passaient). On vivait simplement dans un minuscule appartement mais on s’en fichait. On était marié et rien ne pouvait entraver notre bonheur.

Et puis un jour, sur un coup de tête, on s’est barré en cassant toutes nos économies. On a pris nos quelques affaires, on les a mises en cartons et on a tout entasser dans le garage de mon père pour ne garder qu’un sac à dos chacun. Nos vies ne nous satisfaisaient plus et il était grand temps qu’on se donne un coup de fouet. Alors sans savoir vraiment où on allait ni ce qu’on faisait, on s’est rendu à l’aéroport pour prendre un avion vers Londres, puis un autre vers Paris, Amsterdam, Berlin, Varsovie, Cracovie, etc. Pendant un an, on a voyagé et on a chacun retrouver notre inspiration, moi pour écrire, lui pour filmait. On était heureux comme si on avait douze ans et malgré nos galères pendant ce voyage rien n’aurait pu effacer notre sourire niais de nos visages. Pourtant, Steve a commencé à s’essouffler dans ce voyage alors que je ne rêvais que d’aller plus loin. Mais j’ai renoncé et nous sommes retournés à Galway, à nos petites vies banales. Ça m’a fait du bien, du moins au début. J’avais 25 ans, lui 28 et nos chemins de vie commençaient déjà doucement à diverger.

Ce n’est vraiment parti à la dérive il n’y a que quelques mois. Steve devenait plus insistant avec l’idée de fonder une famille et d’acheter une maison. J’ai tenté de lui faire plaisir mais j’ai malheureusement fait une fausse couche. Peu de temps après, Steve parlait de réessayer. J’essayais d’éviter le sujet au maximum mais un jour j’ai bien dû affronter l’inévitable et lui avouer la vérité : je ne voulais que bouger, je ne pouvais me résoudre à me fixer éternellement, et j’avais trouvé un poste intéressant en Australie pour un journal en ligne qui offrait une grande liberté d’écriture : pretty.au. Il m’a clairement dit que si je partais ce serait la fin de notre mariage. J’ai souris tristement parce qu’au fond de moi je savais depuis longtemps que ce mariage était déjà fini.

« - Pendant son discours lors de notre mariage... Ton père avait dit : Bonne chance pour mettre le petit colibri en cage. A cette époque, je pensais pouvoir te garder à mes côtés pour le restant de mes jours. Mais la vérité, c’est que personne ne met un colibri en cage. »

Effectivement. Steve et mon père ont raison, personne ne peut me mettre en cage et pretty.au me propose exactement ce dont j’ai besoin. J’ai donc repris mon sac à dos avec quelques affaires et je me suis envolée pour Melbourne. De la mer, toujours et encore. Mes débuts au magazine ont été un peu chaotique le temps que je prenne mes marques mais désormais tout roule et Milah est vraiment une personne extraordinaire. Je ne demande qu’à voir ce que l’avenir me réserve, mais l’Australie ne demande qu’à être exploré.